Filmer au Liban en temps d’effondrement : une crise des langages cinématographiques ?

Filming in Lebanon in times of collapse: a crisis in cinematic languages?

Charlotte Schwarzinger

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Charlotte Schwarzinger, 2023, “Filmer au Liban en temps d’effondrement : une crise des langages cinématographiques ?”, Mutations en Méditerranée, no 1, mis en ligne le 01 novembre 2023, consulté le 16 mai 2024. URL : https://www.revue-mem.com/94

Cet article entend développer une réflexion sur les langages cinématographiques en temps de crises au Liban entre 2019 et 2022. L’objectif est de comprendre comment les cinéastes ont vu leur relation au cinéma changer, et de discerner comment ces évolutions se reflètent dans la forme finale des films. Pour ce faire, la méthodologie utilisée est pluridisciplinaire et comprend une série d’entretiens avec des cinéastes, mêlée à l’analyse filmique de courts métrages. Cette approche permettra de s’emparer des images filmiques comme un objet de parole et d’expression à part entière. La démarche donne lieu à des questions plus larges sur les liens entre engagements politiques et artistiques.

This article aims to develop a reflection on cinematic languages in time of crisis in Lebanon between 2019 and 2022. The goal is to understand how filmmakers have seen their relationship to cinema change and to discern how these shifts are reflected in the final forms of the films. The methodology used is multidisciplinary and includes a series of interviews with filmmakers, combined with the filmic analysis of short films. This approach allows us to comprehend filmic images as an object of speech and expression in its own way. This approach evokes broader questions on the links between political and artistic commitment.

Introduction

Lors de l’ouverture de la onzième édition du festival « Les journées cinématographiques de Beyrouth » en juin 2022, le réalisateur Roy Dib profite de la présence de ses pairs pour réaffirmer l’importance du cinéma en période d’effondrement. Il incite les professionnel·le·s du milieu à produire non pas un cinéma « activiste » (« nâshatîyye ») mais « politique » (« sîâsîyye ») qui doit s’inscrire dans la lutte quotidienne. Proposer de nouveaux récits afin d’interroger la société par le geste artistique, voilà l’objectif du réalisateur. Mais comment questionner, par l’outil cinématographique, la transformation du pays depuis le soulèvement d’octobre 2019 ? Cet article entend développer une réflexion sur les langages cinématographiques en temps de crises au Liban entre 2019 et 2022. Il s’agira de comprendre comment les cinéastes ont vu leur relation au cinéma changer et dans le même temps discerner comment ces évolutions se reflètent dans la forme finale des films. L’intention est donc d’interroger la position des cinéastes au Liban : de quelle réalité veulent-ils parler, et comment ?

Cet article s’inscrit dans une recherche plus large sur les possibles de la scène cinématographique au Liban depuis le soulèvement de 20191, dans laquelle j’explore la fabrique de la création, les trajectoires des acteur·rice·s et les formes d’engagements politiques, sociaux et artistiques. En appréhendant la révolte et la précipitation vers les crises à partir de la fabrique cinématographique, je m’intéresse aux liens entre cinéma et politique dans un contexte fragile et incertain où le pays ne cesse de sombrer. La méthodologie utilisée est pluridisciplinaire, avec un terrain sur le long terme articulé à l’analyse filmique et la co-réalisation d’un essai cinématographique. À ce jour, une cinquantaine d’entretiens semi-directifs ont été réalisés à Beyrouth et en dehors avec des professionnel·le·s du milieu (réalisateur·rice·s, producteur·rice·s, technicien·ne·s, acteur·rice·s culturel·le·s, etc.). De plus, une observation participante sur des tournages et des festivals ont nourri la recherche. Ce terrain me permet ainsi d’appréhender les possibles de la scène cinématographique comme des modes de contestations, mais aussi des espaces de liberté où il s’agit de renouveler le regard pour étudier les reconfigurations de l’engagement via le prisme du cinéma.

Depuis plus de deux ans, le milieu du cinéma traverse une période de transition, notamment chez certain·e·s cinéastes qui perçoivent ce temps comme celui d’une rupture, ou du moins d’une remise en question artistique. Que signifie « filmer au Liban » aujourd’hui ? Ici, le langage cinématographique désigne d’une part le discours qu’ont les cinéastes sur leur métier et d’autre part la langue, la grammaire du cinéma qu’ils utilisent. En ce sens, l’étude du choix des cadres, des images, des sons et de leur agencement par le montage permet de révéler les différents discours – politiques, sociaux ou historiques – qui émergent des œuvres. Dans un contexte caractérisé par l’incertitude (Puig et Tabet 2021, p. 227‑238), il s’avère aujourd’hui encore très compliqué d’écrire, de décrire un effondrement qui est toujours en cours. Il semblerait que pour des réalisateurs et réalisatrices, le langage cinématographique ne parvient pas, ou plus, à exprimer la catastrophe2. Ils ne cessent d’inspecter leur métier et leur place, se demandent s’il faut ou non filmer le paysage social libanais, et se questionnent sur les images et les sons qu’ils ne peuvent ou ne veulent plus voir. Face au constat d’un écœurement, parfois même d’un rejet de ce langage cinématographique, cette période de crises suscite avant tout un temps de réflexion. L’objectif de cet article est donc de saisir leur présent désarroi par rapport à cette langue artistique afin de percevoir si le cinéma reste un relais d’expression pour signifier le basculement du pays (Devictor [Ed.] 2013, p. 13‑19). Face à l’urgence politique, les cinéastes ont-ils recours au cinéma, lieu possible de réappropriation d’un espace et d’une parole de plus en plus mis à mal – et si oui, comment ?

La méthodologie employée pour explorer le sujet est pluridisciplinaire : l’enquête de terrain vient nourrir l’analyse filmique, et inversement. Elle comprend d’une part l’analyse du discours de quatre cinéastes de différentes générations – anonymisés ici, et d’autre part le déchiffrage de trois courts métrages afin de s’emparer du film comme un objet d’expression à part entière (Brenez 2020, p. 16). Cet article permettra de soulever des questions plus larges sur les nouvelles façons de penser la place du cinéma en temps d’effondrement, dans le but d’interroger les relations entre engagements politiques et artistiques. La réflexion est formulée en trois temps distincts et complémentaires : un premier temps sur le contexte libanais en lien avec la scène cinématographique, un second temps sur la rupture artistique, et un dernier temps sur trois représentations possibles de Beyrouth par l’analyse des films.

La scène cinématographique libanaise depuis 2019 : de l’ouverture à la fermeture des possibles

Le 17 octobre 2019 éclate la « thawra » (« révolution ») libanaise – désormais davantage qualifiée de « intifâda » (« soulèvement ») – durant laquelle des milliers de manifestant·e·s, du sud au nord du Liban, descendent dans les rues pour réclamer l’accès à leurs droits les plus fondamentaux – dont l’accès à l’eau, à l’électricité, à l’éducation et à la santé. Ils revendiquent le départ des politiciens jugés incompétents et corrompus dans l’espoir de créer un nouveau gouvernement. Au cœur de cet élan politique et social, les professionnel·le·s de la scène artistique rejoignent le mouvement révolutionnaire et lancent un appel à la grève de la culture, en réclamant une refonte totale du système. Face à la quasi-absence d’aide étatique allouée à la culture, qui ne représente que 0,24 % (Ajam et Hariri 2020) du budget de l’État en 2020 (contre 1 % en France par exemple) (Commission des Finances du Sénat 2019), les acteur·rice·s du milieu culturel développent de nouvelles formes de solidarités qui contribuent à redéfinir le rôle politique de la culture, en résonnance avec les réflexions de la société civile. À ce titre, le regroupement d’activistes « `âmilât û `âmilûn fî al-fann û al-thaqâfa » (« Travailleuses et travailleurs dans l’art et la culture »), créé lors du soulèvement, tente de développer une coopérative de cinéma qui défend une approche alternative du système de production, en se détachant des aides extérieures ou des institutions locales, sans jamais perdre de vue l’importance de la diffusion des œuvres dans la vie culturelle et sociale.

Le temps de la révolution est perçu par les acteur·rice·s du monde cinématographique comme une période d’ouverture, de redéfinition des possibles, qui se distingue du désenchantement lié aux crises suivantes, d’ordre sanitaire, financier et humanitaire. La pandémie de Covid-19 freine les différents élans et le confinement joue sur la suspension des mobilisations politiques et culturelles. Dans une situation économique fragile depuis plusieurs années, la paralysie des commerces plonge le Liban dans une crise financière sans précédent. La dépréciation vertigineuse de la livre libanaise accompagnée d’une forte inflation précipite l’effondrement économique du pays. Sur la scène cinématographique, les structures associatives et institutionnelles tentent de faire face à ce climat d’incertitudes et de désillusions, et se voient dans l’obligation de réduire le nombre de leurs projets. Le Metropolis, seul cinéma d’art et d’essai à Beyrouth, ferme ses portes en janvier 2020 et est toujours fermé depuis. Les autres cinémas situés dans des centres commerciaux ne rouvriront qu’en 2021, entre différents confinements. Face aux opportunités de travail de plus en plus rares, de nombreux·ses professionnel·le·s du domaine décident de quitter le pays. Enfin, la double explosion du 4 août 2020 bouleverse les derniers rares repères de la capitale – plus de 200 personnes sont tuées, 6 500 sont blessées et près de 300 000 Beyrouthin·e·s se retrouvent sans-abri. Des quartiers entiers sont détruits dont le centre de Beyrouth, cœur de l’activité culturelle. L’explosion, nouvelle forme de rupture, est perçue alors par les Libanais·e·s comme un symptôme de ce qui était revendiqué et critiqué lors du soulèvement : corruption, négligence et indifférence pour la population. Depuis ce tournant dans l’histoire contemporaine libanaise, le pays poursuit sa chute avec un quotidien rythmé par des pénuries en tout genre – électricité, médicaments, essence, etc. – auxquelles s’ajoute le déclin du secteur public. Au cœur de cette atmosphère aussi troublante que troublée, la difficulté réside désormais dans l’appréhension et la compréhension de cette « crise » ou plutôt de cette « transition » (Morin 2012, p. 135‑152 ; Dobry 1992, p. 38‑40 ; Bensa et Fassin 2002, p. 5‑20), où il est impossible de discerner un début et une fin. Ce flottement permanent qui empêche toute projection dans un futur proche ou lointain peut être comparé à l’analyse du quotidien en temps de pandémie réalisée par l’anthropologue Michel Agier, « de l’événement sans fin on est passé à la quotidienneté de l’anormal, à l’inquiétude permanente, puis à la nécessité d’apprendre à vivre dans l’incertitude » (Agier 2020, p. 14). La complexité est donc de faire face à l’imprévisibilité constante, à ce temps transitoire ou « suspendu » (pour reprendre le titre du film de Myriam El Hajj en cours de finalisation) dont on ne sait quand il prendra fin. Et c’est au cœur de ce contexte de fragilité extrême et de changements radicaux que se pose la question de l’éventuel rôle que peut jouer la création cinématographique.

À l’image du pays, les cinéastes traversent eux aussi un temps de trouble. Ce n’est pas quelque chose de nouveau : depuis que le cinéma existe à l’échelle mondiale, des courants cinématographiques ont accompagné des périodes de crises totales. À titre d’exemple, le mouvement néoréaliste italien au lendemain de la Seconde Guerre mondiale illustre cette remise en question du et au cinéma. Bien que les situations politiques, économiques et sociales de l’Italie de 1945 et du Liban de 2022 ne soient pas comparables, il est toutefois possible d’établir des rapprochements relatifs à la rupture cinématographique.

En Italie, le courant du néoréalisme se caractérise par l’errance de comédiens et comédiennes dans des décors naturels de ruines détruits par la guerre. Michelangelo Antonioni est un réalisateur emblématique de ce mouvement des années 1960 et illustre parfaitement cet état d’égarement et de déambulation dans un monde devenu inhabitable. Pour reprendre une citation de l’historienne et critique culturelle Ruth Ben-Ghiat sur le cinéma italien d’après-guerre, il s’agissait de « communiquer, par le médium du film, l’expérience de vivre un moment liminal » avec des « films néoréalistes comme le marqueur d’un espace éclaté et d’un présent marqué par une temporalité fractionnée » (Ben-Ghiat 2008, p. 1215‑1248).

Dans le cas du Liban, les cinéastes sont conscients de cette fracture temporelle mais sont encore pour la plupart dans l’incapacité de la signifier, de la représenter par le médium filmique. Nous ne sommes donc pas dans un cas de figure similaire au cinéma italien d’après-guerre caractérisé par une rupture radicale du point de vue esthétique et/ou narratif ; mais plutôt dans un temps d’introspection sur les limites de ce langage. Les cinéastes sont donc encore dans une phase de réflexion caractérisée par ses multiples interrogations. Quel cinéma est-il encore possible de faire dans une période définie par l’enchevêtrement de crises qui provoquent un effondrement par paliers successifs (crise économique, soulèvement de 2019, confinements, explosion, pénuries) et qui se poursuit aujourd’hui ? Comment appréhender, par le cinéma, les bouleversements sociaux et les transformations historiques qui sont en cours ?

Entre mouvement et immobilité : un langage cinématographique (im)possible ?

Pour discerner ce temps de transition que vivent les cinéastes, je m’appuierai sur quatre entretiens menés au printemps 2022. Il n’est ni question de créer un nouveau courant cinématographique ni de prétendre à l’invention de nouveaux langages, mais de souligner différentes réactions dans un contexte de surabondance d’images et de sons produits sur et au Liban ces trois dernières années. Paradoxalement, il y a tellement de matériel audiovisuel produit qu’il finit par produire un effet d’invisibilisation – et à force de tout vouloir voir, la situation devient incompréhensible et illisible. Dans un tel contexte, comment les réalisateur·rice·s se positionnent-ils ? Afin d’explorer cette question de crise du langage cinématographique, de courts récits de vie ont été choisis pour mettre en lumière quatre thématiques : la disparition des corps, la mécanique du geste, l’impasse de l’expérimental, et l’appropriation d’un temps. Il s’agit ici de déceler comment chaque cinéaste décide ou non de créer de nouvelles images.

La disparition des corps

Karl3 est un réalisateur et monteur d’une quarantaine d’années qui a toujours eu un pied dans le milieu artistique. Il a réalisé des films à la marge du cinéma dit « traditionnel » et s’insère davantage dans le style de l’expérimental. Avant 2019, il avait plusieurs projets de films, à la fois documentaires et fictions. D’ailleurs, à l’époque, il avait pour ambition de s’essayer à la réalisation de films de genre qui sont sous-explorés dans la région. Mais Karl ne va cesser de faire face à des désillusions, et les films qu’il souhaitait tourner en 2020 ne verront pas le jour.

Comme la majorité de la population libanaise lorsqu’éclate la révolte du 17 octobre, Karl remet tout au lendemain et descend dans la rue. Ses projets sont mis sur pause en attendant de voir ce qu’il se passe. Il lui est impossible de demander à son équipe de mettre de côté sa participation dans une révolution et d’arrêter le combat politique pour son film de fiction. Mais la crise s’aggravant : « chaque mois, je sentais qu’il y avait quelque chose que je ne pouvais plus faire », jusqu’à l’explosion qui vient chambouler le peu de cohérence restante. À ce stade, Karl se demande comment il est encore possible d’écrire une histoire destinée à être jouée par des comédien·ne·s, alors que le monde environnant est lui-même de plus en plus fictif. Le contexte libanais devenant irréel, comment appréhender un film de fiction ? Il y a donc eu un tournant dans sa pratique artistique : alors qu’il a toujours réalisé des films-portraits avec des plans cadrant des visages, il lui est aujourd’hui presque impossible de filmer un corps. La rupture avec son langage cinématographique se matérialise par l’incapacité à poursuivre ce qu’il faisait jusqu’alors. Il n’arrive plus à imaginer des scènes ni à les écrire pour des comédien·ne·s – puisqu’il ne parvient pas à envisager l’idée même de devoir filmer quelqu’un. Pour reprendre ses mots, il est inconcevable de « filmer l’acteur sans prendre en considération que son dos était déchiré par l’explosion : impossible. Je ne peux plus filmer son visage sans filmer [cette partie de son corps]. Je ne pouvais plus écrire de la fiction et demander à des gens de faire une mimèsis de quelque chose d’autre ». En ce sens, l’événement de l’explosion – ainsi que le contexte libanais en général – est une chape de plomb qui empêche, bloque sa création. Paralysé dans sa pratique artistique, il me confie : « est-ce que c’est possible de dire quelque chose après tout ça ? ». Quelques mois plus tard, sa pratique cinématographique a finalement évolué vers quelque chose de nouveau. Avant 2019, il ne prenait sa caméra et ne tournait des images que pour des projets concrets, qu’ils soient des fictions ou des documentaires. Maintenant, Karl filme sans idées précises. Il tourne sans sujet ou sans histoire préalablement écrite. Aussi, son regard a changé. Alors qu’il ne filmait que des visages, son œil s’intéresse désormais à la nature – c’est la lune et la mer qui l’attirent.

Ce premier récit de vie illustre ce temps de transition qui s’est d’abord caractérisé par une impasse du langage cinématographique pour évoluer vers d’autres approches artistiques. À présent, en contraste avec l’expérience de l’immobilité du geste de Karl, je souhaite retracer brièvement le récit de Samia qui met en lumière le renouvellement de sa pratique durant la révolte de 2019.

La mécanique du geste

« Quoi filmer ? Quoi ne pas filmer ? Comment filmer ? » se demande Samia. Réalisatrice et militante d’une cinquantaine d’années, elle a participé dès le premier jour à l’« intifâda ». Alors qu’un grand nombre de manifestant·e·s filmaient eux aussi la révolution, il a été question pour Samia de remettre en question sa manière de faire. Alors que jusque-là elle considérait l’image filmique comme un tout en vue de créer un film, il a été question de renoncer au matériel lourd du tournage pour accomplir un geste simple et contemporain : prendre son téléphone. En immersion totale, elle a enregistré et capté en temps réel le Liban de la révolution, du Covid et puis de l’effondrement.

Sa façon de vivre le soulèvement de 2019 a d’abord consisté à partager les images sur Instagram. D’ailleurs, lors de l’entretien, elle ne dit pas le mot en entier mais seulement « Insta », pour souligner le caractère instantané et spontané de cet outil social. Il n’est donc pas question pour elle de garder ses vidéos faites avec son téléphone portable sur des disques durs, ni de choisir les images, puis de les mettre dans un certain ordre ou de travailler le son en vue de réaliser un montage. Au contraire, elle publie régulièrement sur son profil des plans-séquences d’une minute où son œil – son téléphone – suit des manifestant·e·s dans la rue. Les vidéos donnent à voir le quotidien de la révolte, entre les marches, les temps d’attente, les préparations des pancartes, etc. En aucun cas il ne s’agit de rendre spectaculaire ce temps de l’histoire contemporaine libanaise, mais bien de l’observer et d’y participer dans le même temps. Cette nouvelle approche était un acte conscient de repositionnement et remise en question de sa place de « mukhrije » (« réalisatrice ») : « pendant la révolution c’était un choix de prendre un téléphone et pas une caméra », me dit-elle.

Le choix du téléphone paraît bien anodin aujourd’hui tant il est accessible à beaucoup d’entre nous. Mais ce qui est intéressant dans ce cas de figure est la façon dont Samia a décidé de capter « l’esprit de la révolte » (Dakhli 2020, p. 12‑13) par le changement de l’outil lui-même. Le téléphone portable permet une mobilité plus grande sur le terrain des manifestations, car le mouvement corporel devient plus fluide qu’avec une caméra – aussi légère soit-elle. Dans cette perspective, Samia pousse sa redéfinition de réalisatrice jusqu’au bout puisqu’elle a décidé de « filmer sans faire un film ». Ce qui compte, c’est le geste filmique – pas dans le sens philosophique mais d’un point de vue « mécanique et artisanal ». Elle a enregistré ces images, les a partagées sans montage sur Instagram, et surtout elle ne veut pas en faire un film. Leur place est sur le réseau social – et non au cinéma : Instagram incite également à une autre forme de consommation d’images qui diffère totalement d’une projection en salles.

Depuis, Samia alterne entre les deux. Elle continue de publier régulièrement des images (fixes ou en mouvement) sur Instagram sans perdre de vue son film de fiction. Cette étude de cas permet de souligner une nouvelle appréhension des possibles du langage cinématographique, qui se définit comme une gestuelle novatrice que permet l’outil. Dans un autre genre, le récit de Jihane illustre une forme alternative de discontinuité et a pour particularité d’inclure la remise en question de la fabrique du film.

L’impasse de l’expérimental

Jihane est une réalisatrice, musicienne et écrivaine d’une trentaine d’années. Elle a toujours eu une approche expérimentale dans la fabrique de ses films, c’est-à-dire qu’elle ne suit pas une méthode dite conventionnelle. Elle écrit rarement des scénarios avant de tourner parce qu’elle préfère laisser place à l’improvisation. Elle autoproduit la majorité de ses films pour garder une part importante de liberté dans la création. Elle préfère des équipes réduites au tournage, quitte à ce que chaque personne porte plusieurs casquettes à la fois. Elle a pu fonctionner de cette façon jusqu’en 2019, car avant la crise économique – comme de nombreux·ses cinéastes – elle donnait en parallèle des cours à l’université, ce qui lui permettait de consacrer un mois de salaire à la production de ses films.

En juillet et août 2021, comme les étés précédents, elle décide de réaliser un nouveau moyen métrage avec le même dispositif expérimental. Jihane a toujours été dans la spontanéité, se lançant dans de nouvelles réalisations dès qu’elle en a eu l’occasion. Mais cet été-là, ce n’est plus aussi simple : les membres de l’équipe étant affectés par la chute libre du pays et les pénuries d’essence empêchant une circulation normale, il n’est plus possible de mobiliser tout le monde plus de deux jours d’affilée. Par conséquent, s’ensuit un tournage étalé sur plusieurs mois, jusqu’au printemps 2022. Lors du dernier jour de tournage, un des acteurs est déstabilisé face à l’absence de scénario : l’histoire est tellement découpée et le tournage tellement éparpillé qu’il se demande comment Jihane va réussir à créer une cohérence narrative. Elle le rassure, c’est sa façon de travailler, d’expérimenter, et comme à son habitude, l’histoire se débloquera à l’étape du montage.

Face aux rushes du film, près d’un an après le premier jour de tournage, Jihane cale et n’arrive pas à monter. Pourtant ses méthodes de fabrique sont inchangées. Progressivement elle se rend compte qu’entre l’été 2021 et juin 2022, le pays, lui, n’est plus le même. Elle dresse un état des lieux rapide et me dit : « mon tournage n’était pas un tournage, mon film n’est plus un film, le pays est méconnaissable, est-ce que le cinéma expérimental existe encore ? » Désorientée, elle se rend compte que sa pratique qui pouvait être qualifiée d’expérimentale il y a encore deux ans perd de son sens. En effet, le contexte libanais étant devenu lui-même irréel, la forme expérimentale est dépossédée de sa spécificité puisque les moindres détails de la vie quotidienne sont à leur tour incertains, inconnus et imprévisibles. Dans un contexte où la fiction devient la norme – ou plutôt la réalité libanaise devient expérimentale –, Jihane se retrouve à son tour désorientée et déroutée.

Le récit de Jihane présente une autre forme d’impasse, au moment de la fabrique de la continuité même du film. Alors que sa méthode artistique permettait initialement des expérimentations, la réalisatrice s’interroge aujourd’hui sur le renouvellement imposé de sa position face à ce genre cinématographique. En guise de dernier exemple, j’ai sélectionné le récit de Raed qui explore davantage la relation au corps et au temps.

L’appropriation d’un temps

Raed est un réalisateur d’une quarantaine d’années. Pendant – et depuis – le soulèvement, il ne cesse de se remettre en question : qu’est-ce qu’il est possible de filmer ? La question n’est pas « qu’est-ce que je dois filmer ? » mais « est-ce que je dois filmer ? ». Durant la révolte, Raed prenait souvent sa caméra, sillonnant les routes du nord au sud, en passant par Beyrouth. Il avait le sentiment d’une fin d’époque qu’il fallait enregistrer. Après l’explosion, il laissa tomber sa caméra – comme beaucoup d’autres. « Qu’est-ce que tu vas aller filmer ? » Selon lui, c’est presque une honte que d’enregistrer Beyrouth à ce moment-là. Depuis, il s’interroge sur sa place, sur ce qu’il peut faire de toutes ses images alors que trois ans plus tard, il n’y a plus de mobilisation. En effet, la difficulté pour Raed est de se confronter à ses rushes alors qu’il a filmé sans but précis. La teneur et la portée de ses images et de ses sons se sont noyées dans la dégringolade violente qui a suivi. Lors de nos conversations, ce qui revient le plus souvent est peut-être le malaise de sa relation au corps. Raed explique qu’il filme à nouveau mais qu’il ne sait plus où se mettre. Il réinterroge constamment le lien entre les corps de la ville, le sien, ceux qu’il filme, et l’objet de la caméra au centre. Il reconsidère un tout : « Quel est mon devoir de représentation ? Quelle est ma responsabilité ? »

Il précise que l’effondrement du pays a rejoint l’effondrement de l’image, et c’est peut-être ça qu’il faut approfondir. Il explicite : « questionner l’effondrement de l’image c’est également questionner l’effondrement du statut de l’artiste ». De son point de vue, c’est un luxe de faire du cinéma au Liban – et donc si on continue d’en faire, il faut le penser différemment en lien avec le contexte précaire du pays. Ce n’est qu’une hypothèse que je formule ici : si comme l’expose le réalisateur Raoul Peck « le cinéma peut également accompagner un mouvement social et politique » (Peck et Zafrani 2019, p. 73‑81) – ce que Raed a fait pendant la révolution –, comment accompagner un bouleversement radical ? Très impliqué politiquement, il semblerait que Raed doive faire face à la désillusion politique du pays mais également à une refonte de sa pensée du lien entre cinéma et politique. Filme-t-il pour agir sur le présent (Ermakoff et Riboni 2015, p. 17‑30) ? Ou pour sauvegarder des temps forts de l’histoire libanaise pour les générations futures ?

Sa pratique cinématographique a évolué pour devenir avant tout une « expérience » (« tajrube ») du et dans le corps qui lui-même s’approprie un temps. Filmer l’effondrement devient une appropriation temporelle et une façon de mieux résister au présent et d’imaginer l’avenir. Face au temps qui échappe, il faut enregistrer la parole, les corps, les lieux. En ce sens, le langage de Raed pourrait être qualifié de mobilisation cinématographique dans la mesure où il souhaite faire des films pour l’histoire. Comme des archives à venir, les images qu’il a filmées proposent un état, une vision possible du monde avec son contexte social et politique.

Ces quatre récits donnent à voir différentes formes de déplacement, de mouvement ou de rupture possibles face aux situations de perte physique et symbolique qu’ont dû affronter les cinéastes. Dans cette perspective, on constate de quelles manières les crises peuvent affecter le rapport au cinéma. Le changement catégorique de la pratique de Karl, l’exploration de l’outil téléphonique par Samia, la remise en question de la fabrique expérimentale de Jihane et la mise en lumière du temps de Raed sont autant d’exemples qui signifient et incarnent cette période de transition cinématographique au Liban. Ce qui semble commun au travail de ces quatre réalisateur·rice·s est leur difficulté à trouver un « narratif », un récit à construire, tant que l’effondrement est toujours en cours. Comment est-il possible finalement de partager l’expérience d’un désastre ?

Pour tenter de répondre, je propose d’explorer à présent les films eux-mêmes. Ce dernier temps sur l’analyse cinématographique repose sur trois films, trois gestes distincts, qui ont pour sujet Beyrouth. L’objectif est de déceler, à travers les œuvres, des situations, des paroles, des comportements, qui sont susceptibles d’apporter un éclairage sur les manières de vivre la ville. L’objet n’est par conséquent pas Beyrouth en tant que telle, mais les représentations de celle-ci à travers les regards singuliers des trois auteur·e·s sur le temps présent. Dans la lignée des réflexions de Cécile Boëx, un acte cinématographique « est rarement motivé par une volonté d’avoir une meilleure compréhension du réel […], mais a généralement pour origine une angoisse, un désir d’expression, de témoignage, de contestation ou de beauté » (Boëx 2012, p. 269‑276) – et c’est ce qui nous intéresse ici.

Filmer Beyrouth en 2021 : quelles représentations possibles ?

Le corpus cinématographique est composé de trois courts métrages tournés à l’été 2021, un an après la double explosion du 4 août. Il s’éloigne des images spectaculaires de cet événement qui ont circulé dans les médias mainstream dans les mois suivants. Il s’agit avant tout d’images dites « de l’intérieur », c’est-à-dire faites par des cinéastes libanais·es qui ont vécu l’explosion et qui vivent, ou du moins ont vécu, au Liban l’année qui a suivi. Le sujet de ces trois films n’est donc pas l’explosion elle-même, mais plutôt ses conséquences. L’objectif est d’explorer les représentations possibles de Beyrouth un an plus tard qui, dans ce corpus, mettent en avant les transformations sociales et urbaines qui ont pu avoir lieu. Pour ce faire, différents genres ont été sélectionnés – à savoir une fiction, un documentaire et une science-fiction documentaire. Le choix a également été de se tourner vers des cinéastes que l’on pourrait qualifier d’« émergent·e·s ». Sarah Kaskas et Ely Dagher ont déjà réalisé des longs métrages, respectivement un documentaire et une fiction, qui ont circulé dans des festivals internationaux. Panos Aprahamian, de son côté, a réalisé plusieurs courts et moyens métrages qui sont aussi bien diffusés dans des festivals que dans des galeries d’art.

Cette « nouvelle génération » du cinéma libanais peut se définir par l’âge des trois cinéastes (ils sont nés à la fin de la guerre civile et sont aujourd’hui dans leur trentaine), mais aussi par leurs créations qui s’insèrent dans la continuité de l’historiographie cinématographique du pays (Millet 2017 ; Rastegar 2015 ; El-Horr 2016 ; Yazbek 2012). En effet, le cinéma au Liban est généralement divisé en trois périodes : une première datant des années 1960-1970 considérée comme l’âge d’or ; une seconde marquée par la guerre civile de 1975 à 1990 caractérisée par de nombreux documentaires ; et une troisième, celle du cinéma d’après-guerre. Ce dernier mouvement nous intéresse ici, car les artistes – on peut nommer parmi eux et elles Ghassan Salhab, Mohamed Soueid, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Eliane Raheb pour le cinéma, et Akram Zaatari ou Walid Raad davantage du côté de la vidéo – explorent la mémoire, le traumatisme, l’effacement et l’exil à travers de nombreuses approches expérimentales et formelles. Ainsi, les trois réalisateur·rice·s mentionné·e·s dans cette partie partagent une histoire (cinématographique) commune avec des supports artistiques divers (film, plasticité de l’image et vidéo-art), où l’on retrouve des thématiques partagées comme l’(in)dicible, les imaginaires et les expériences personnelles et collectives face à des temps de crises et de violences.

La réflexion se fera en deux temps. Le premier sera consacré au film The Window [mâ baʻd âb], une fiction réalisée par Sarah Kaskas. Ce court métrage a été produit par Karaaj Films – sa maison de production co-fondée avec la productrice Liliane Rahal – et financé par la branche de Beyrouth du Heinrich-Böll-Stiftung, une fondation allemande. Le film sera analysé avec pour angle d’approche l’analogie architecturale et le cas des silos du port de Beyrouth. Le second temps portera sur les deux autres courts métrages qui sont des films de commande réalisés dans le cadre de « Beirut One Year Later » (en arabe « bayrût, âb 2021 » traduit littéralement par « Beyrouth, août 2021 » en français) financés par Beirut DC et International Media Support. Ce projet avait pour objectif de produire cinq courts métrages, diffusés ensuite sur la plateforme en ligne Aflamuna. Les cinq cinéastes sélectionnés par les commanditaires questionnent, à travers leurs films, la façon dont l’explosion a affecté leurs vies et leur ville. Pour cet article, deux de ces cinq films ont été choisis : l’essai expérimental de Panos Aprahamian, Odorless Blue Flowers Awake Prematurely [zuhûr zarqâʼ ʻadîma al-râ'iḥa tastaîqizhu qabla âwânahâ] et le documentaire d’Ely Dagher, A Declaration of War [îʻlân harb].

La sélection exclusive de courts métrages n’est pas anodine dans la mesure où c’est le format dominant depuis trois ans. Le choix de ce format révèle plusieurs enjeux : la difficulté économique à rassembler les fonds nécessaires, l’urgence à transmettre des images, des questionnements, des ressentis, et l’incapacité à construire un récit long – ce qui nous ramène au point précédent sur l’impasse du fil narratif. Ainsi, l’analyse comparative de ces films nous permettra de comprendre comment ils tentent d’échapper à l’esthétisme voyeuriste de la catastrophe, tout en questionnant leur rapport à Beyrouth, à l’habitat et au quotidien. En ce sens, il s’agit de déchiffrer les écritures cinématographiques des réalisateur·rice·s dont les images, les sons et les montages construisent le sens, qu’il soit politique, social, historique et/ou mémoriel (Smadja 2010, p. 5‑16 ; Godmer 2010, p. 17‑30).

Analogie architecturale : le cas des silos du port de Beyrouth

The Window de Sarah Kaskas est un court métrage de fiction racontant l’histoire de deux femmes, Basma et Mariam, qui se retrouvent dans leur ancienne chambre un an après l’explosion. Enfermées face à une vue contrainte sur le port de Beyrouth, elles reviennent sur leur traumatisme de l’explosion et sur leur relation amoureuse brisée. Au cours du récit, les deux femmes se disputent et évoquent la destruction de leur couple due aux différentes crises. Basma a décidé de quitter le Liban, tandis que Mariam, elle, est restée. La fameuse question « partir ou rester » implique les allusions à la situation de crise actuelle : les pénuries d’essence, d’électricité et de médicaments, les problèmes bancaires, la culpabilité de l’exil, la colère, etc.

Nous sommes dans un huis clos, limité à une chambre avec une grande fenêtre qui surplombe la ville, le port et ses silos. Pour reprendre André Bazin qui définit le cinéma comme une « fenêtre sur le monde » (Bazin 1985, p. 166), il faut ici être attentif à ce qu’induit la notion de cadre, de ce que la réalisatrice a décidé de montrer ou non. Pour signifier les déchirures entre les deux femmes, Sarah Kaskas joue constamment sur la construction des plans. Le photogramme issu du film ci-dessous illustre parfaitement l’enjeu visuel de The Window : nous voyons rarement les deux femmes dans un même plan mais on aperçoit leurs reflets sur la fenêtre ou dans le miroir, avec les silos qui les séparent. Surcadrage et enfermement pourraient être deux mots-clés pour définir ce court métrage. La perspective sur la ville n’est plus considérée comme une ouverture vers l’extérieur, un horizon. La vue est traitée dans ce film comme dangereuse, menaçante. En prenant en compte le bilinguisme très présent au Liban, il est possible de faire un parallèle entre les deux titres – « La fenêtre » en anglais et « Ce qui vient après août » en arabe – qui sont très différents mais probablement pensés ensemble : ce que l’on perçoit à travers la fenêtre représente la dévastation physique et psychologique de et dans Beyrouth post-explosion. Ainsi, nous sommes dans un cas de figure où la ville est un personnage effrayant et le silo l’incarnation de sa destruction.

Figure 1. Capture d’écran du film The Window de Sarah Kaskas (2022)

Figure 1. Capture d’écran du film The Window de Sarah Kaskas (2022)

Avec l’aimable autorisation de Sarah Kaskas
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Pour développer et creuser cette métaphore du silo, je souhaiterais revenir sur ce qu’il représente dans le quotidien beyrouthin. Aujourd’hui, bien que la reconstruction de certains quartiers soit toujours en cours, les traces de l’explosion sont de plus en plus rares. Les silos sont donc devenus depuis deux ans un lieu architectural majeur. On pourrait avancer l’idée que ce film revisite la notion géographique du « haut lieu » de Bernard Debarbieux. Originellement, celui-ci désigne des espaces chargés d’une dimension symbolique de la force d’un pays (Lévy et Lussault 2003, p. 448). Dans le cas libanais, le « haut lieu » qu’est devenu le silo s’est construit dans la négation et le chaos : il n’est plus question de la représentation symbolique de la puissance du pays mais bien de son effondrement. Métaphore de l’explosion, les silos deviennent par là le symbole de la corruption et de l’incompétence du gouvernement libanais. Aujourd’hui, ce « haut lieu » ne cesse de s’écrouler à son tour : en août 2022, à cause de la chaleur et de l’entassement des graines restantes, un incendie s’est déclaré à l’intérieur de la section nord et a provoqué son effondrement. Sans le savoir, Sarah Kaskas a alors sauvegardé l’image des silos minés dans leur entièreté avant qu’ils ne disparaissent.

Pour comprendre la place qui leur est consacrée dans le film, mentionnons un extrait, l’unique pause dans le récit, la seule fois où l’on a l’impression de sortir de la chambre. Sur les tournages, ce sont en général les directeur·rice·s de la photographie qui sont chargés de la caméra, et donc de l’acte de filmer. Mais pour cette séquence, la réalisatrice a pris elle-même la caméra pour zoomer, depuis la chambre, sur les silos. Ce geste est loin d’être anodin : l’image est floue, instable, mais on sent le regard de la cinéaste qui épie les lieux dans les moindres détails (voir ci-dessous). Comme une caresse, on a également l’impression que c’est un geste mémoriel réalisé dans l’urgence. Je cite la réalisatrice :

J’appelle cela une cicatrice. Et une cicatrice est un rappel permanent de ce que vous avez traversé. […] Dans le cinéma libanais et dans l’histoire du Liban, nous n’avons pas de version ou de perspective unique, mais une cicatrice aussi grande est quelque chose dont vous ne pouvez pas détourner le regard. Beyrouth est blessée et la cicatrice des silos est un rappel des crimes que nous a infligés le régime corrompu (Davie et Farine 2021).

Figures 2 et 3. Captures d’écran du film The Window de Sarah Kaskas (2022)

Figures 2 et 3. Captures d’écran du film The Window de Sarah Kaskas (2022)

Avec l’aimable autorisation de Sarah Kaskas
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Cette courte analyse permet d’ouvrir une réflexion sur l’enjeu du choix de la fiction. Comme le disait Jacques Rancière dans Les Temps modernes, « la fiction est requise partout où il faut produire un certain sens de la réalité » (Rancière 2018, p. 14). Comme nous l’avons précédemment vu, les cinéastes libanais·es sont perdu·e·s dans un contexte où la frontière entre la fiction et le documentaire est de plus en plus poreuse. Dans le cas du film de Sarah Kaskas, peut-être que la seule façon d’arriver à faire face à la défiguration de sa ville, et donc au traumatisme de l’explosion et de ses conséquences sur la vie sociale, est justement d’user de la fiction pour réussir à regarder et puis filmer les silos. Ce choix de représentation lui est propre, et diffère des deux autres courts métrages, tant au niveau narratif que visuel. Pour la suite, l’analyse succincte des deux films sera suivie d’une réflexion plus générale sur des points qui les unissent.

Désincarnation et mise à distance de la ville

Odorless Blue Flowers Awake Prematurely de Panos Aprahamian est une dystopie où l’apocalypse n’est pas une possibilité future mais bien une réalité historique. Nous ne sommes ni dans le documentaire ni dans un récit fictionnel, mais plutôt dans un genre hybride que l’on pourrait qualifier de science-fiction documentaire. Le réalisateur multiplie des plans dans des zones marginalisées de Beyrouth autour de la rivière. On découvre une ville à l’abandon, rendue au néant après une catastrophe, sans aucun habitant à l’image. Une narratrice en voix off explique la situation sur un ton robotique, « l’air est plus pur maintenant que le monde est fini ». Les humains ont quitté les lieux, comme l’illustre ce plan (voir ci-dessous) où le réalisateur efface littéralement un jeune garçon de l’image. Seule reste la bourgeoisie caractérisée par un plan cadré sur les tours qui scintillent dans une ville plongée dans le noir.

Figures 4 et 5. Captures d’écran du film Odorless Blue Flowers Awake Prematurely de Panos Aprahamian (2021)

Figures 4 et 5. Captures d’écran du film Odorless Blue Flowers Awake Prematurely de Panos Aprahamian (2021)

Avec l’aimable autorisation de Panos Aprahamian
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Dans ce film, nous n’avons aucun repère temporel, ce qui induit un effet de distanciation. L’ambiance sonore y est pour beaucoup : le son intradiégétique de la ville est coupé pour être remplacé par un bourdonnement indéchiffrable. La ville a perdu son bruit d’origine. Le choix du réalisateur semble être celui de faire le portrait d’une ville qui s’efface pour laisser la place à la nature – et on retrouve d’ailleurs des plans à répétition sur de jeunes pousses vertes (voir ci-dessous). « Quand la fin du monde est arrivée, il y avait tellement d’engrais dans l’air que les fleurs de la ville ont éclos bien avant l’heure. Et au cœur de cette destruction, l’air sentait bon » précise la voix off. En effet, au moment de la déflagration du 4 août 2020, les milliers de tonnes de graines stockées dans les silos sur le port de Beyrouth ont été disséminées aux alentours. Cette zone industrielle devient, par le regard du cinéaste, le lieu d’une renaissance imposée où la nature reprend ses droits dans un espace urbain surconstruit.

Figure 6. Capture d’écran du film Odorless Blue Flowers Awake Prematurely de Panos Aprahamian (2021)

Figure 6. Capture d’écran du film Odorless Blue Flowers Awake Prematurely de Panos Aprahamian (2021)

Avec l’aimable autorisation de Panos Aprahamian
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Le choix d’une science-fiction documentaire prend tout son sens ici. Au milieu du film, la voix off se demande où elle pourrait aller maintenant que ce monde-là est terminé ; elle cherche un endroit « où la dystopie est toujours dans le domaine de la spéculation. Dans le domaine de la fiction ». Encore une fois, on retrouve ce mélange des genres et cet envahissement du quotidien libanais par la fiction. Pour reprendre la définition de Cécile Leconte et de Cédric Passard, la dystopie est « révélatrice d’un certain état de la société » où les œuvres « manifestent […] les transformations du discours social et des conceptions du monde propres aux conditions socio-historiques de production et de réception dans lesquelles elles prennent place » (Leconte et Passard 2021, p. 13‑24). Dès lors, le court métrage de Panos Aprahamian nous éclaire sur une vision, une représentation possible de Beyrouth dans laquelle on découvre des angoisses mais aussi des espoirs. Il transforme la réalité en poussant son absurdité à l’extrême. Dans un autre registre, Ely Dagher propose un film qui ne déforme pas la réalité mais qui amplifie une de ses grandes peurs, à savoir la disparition de la vitalité collective.

A Declaration of War de Ely Dagher est un documentaire où le réalisateur dialogue avec lui-même en voix off, à la deuxième personne. À ce sujet, il précise :

Je n’étais pas sûr de ce que je voulais dire ou de ce que j’avais le droit de dire. […] J’ai beaucoup lutté avec cette question jusqu’à ce que je décide d’exprimer mes sentiments personnels, seul. J’ai parlé avec moi-même dans le film parce que j’étais incapable de parler avec quelqu’un d’autre (Aflamuna 2021).

Il observe sa ville et se questionne sur l’évolution – voire la disparition – de l’énergie vitale : après l’explosion, elle s’est exprimée avec colère, espoir, violence… Mais aujourd’hui à Beyrouth, c’est avant tout le silence et l’apathie qui règnent. Le réalisateur, comme les habitants que l’on voit à l’image, erre et attend. A l’instar du film de Panos Aprahamian, le son ambiant de la ville est coupé, remplacé par un son sourd derrière la voix off du réalisateur. Les Beyrouthin·e·s continuent leur routine mais avec une lassitude des mouvements, des corps (voir ci-dessous). Hagards, ils semblent survivre plus qu’autre chose, plongés dans un état léthargique. La disparition de l’action et de la vivacité des habitants rappelle une citation de Gilles Deleuze à propos du cinéma d’Antonioni précédemment mentionné, « le corps n’est jamais au présent, il contient l’avant et l’après, la fatigue, l’attente. La fatigue, l’attente, même le désespoir sont les attitudes du corps » (Deleuze 2006, p. 246). Dans le film de Ely Dagher, les Beyrouthin·e·s deviennent de simples passants qui semblent incapables de s’inscrire dans l’espace et de se l’approprier.

Figures 7 et 8. Captures d’écran du film A Declaration of War de Ely Dagher (2021)

Figures 7 et 8. Captures d’écran du film A Declaration of War de Ely Dagher (2021)

Avec l’aimable autorisation de Ely Dagher
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Les différents plans de la ville sont accompagnés par le monologue intérieur du cinéaste à la deuxième personne qui insiste notamment sur la question du lien, « qu’est-ce qui nous lie ? ». A l’image, les ruines et les gravats ont pris le dessus face à l’inaction des Libanais·es. « On attend de nous que nous reconstruisions et que nous reprenions nos vies. Mais je pense qu’aucun d’entre nous n’est capable de le faire. J’ai donc voulu présenter cet état de limbes dans lequel nous vivons », indique le réalisateur (Aflamuna 2021). En faisant le choix de partager son sentiment face à une ville délaissée qui ne cesse de s’éloigner, Ely Dagher poursuit sa démarche « réactionnaire [face] à des situations qu’on vit […] pour essayer de donner une voix, un ressenti »4, selon ses termes. Il entend partager la situation qu’il traverse également dans l’espoir de participer à des changements possibles en remettant sur le devant de la scène la responsabilité du gouvernement libanais face à la situation actuelle. En effet, le carton à la fin du film liste les effets néfastes (psychologiques, physiques, financiers, etc.) sur la population vivant au Liban comme le résultat d’années de criminalité, de corruption, d’hypocrisie. Il clôture en reprenant son titre, « le 4 août était une déclaration de guerre ».

Figure 9. Capture d’écran du film A Declaration of War de Ely Dagher (2021)

Figure 9. Capture d’écran du film A Declaration of War de Ely Dagher (2021)

Avec l’aimable autorisation de Ely Dagher
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Ces deux courts métrages – bien que très différents – posent des regards sur le changement profond du paysage urbain et social de Beyrouth. Ils offrent deux représentations possibles de la ville, avec comme point commun sa désincarnation et mise à distance. Par exemple, les traitements sonores procurent un sentiment d’anormalité et d’étrangeté puisque nous n’entendons pas le son de la ville. D’ailleurs, à aucun moment les habitants ne prennent la parole : ont-ils perdu leurs voix dans ces ambiances fantomatiques et apocalyptiques ?

Aussi, l’élément qui alimente cette distanciation est la coupure sensorielle. La perte de repères se lit, s’entend et se voit par la perte des sens. Dans les deux films, il est question de l’odeur, du bruit, et des autres sens humains qui, eux aussi, sont abîmés ou absents. Dans le film de Panos Aprahamian, la voix off dit qu’elle n’arrive plus à sentir l’odeur du monde, mais elle peut imaginer que ça sent bon. La question de l’odeur est dans le titre même : les fleurs ont perdu leur parfum. Dans le film d’Ely Dagher, on retrouve la question des odeurs, mais également du son, du bruit de verre brisé qui s’infiltre dans ses rêves et dont il n’arrive pas à se débarrasser. Ces évocations récurrentes de la disparition des sens jouent profondément sur la désincarnation de la ville et la désorientation au sein de celle-ci : on ne peut plus la sentir et on ne peut plus ou on ne supporte plus de l’entendre.

Conclusion

Les possibles crises des langages cinématographiques sont encore à questionner et à explorer, et il n’est pas question ici d’imposer l’idée d’une rupture esthétique, visuelle ou narrative. Comme nous l’avons vu à travers les quatre récits de vie et les trois analyses filmiques, cette phase de flottement qui débute en 2019 se caractérise avant tout par une attente, une réflexion, un requestionnement et un repositionnement sur ce qu’il est possible de dire, de transmettre, et comment. En reprenant l’idée de départ d’un temps de transition ou « suspendu », il serait possible d’ouvrir la réflexion et de discerner si cet « entre-temps » ne serait pas plutôt un temps circulaire : à la lumière des trente dernières années, il semblerait que le Liban soit confronté à un mouvement cyclique de crises. Dans la lignée des réflexions de l’historien François Hartog, notamment sa notion de « régime d’historicité » (Hartog 2003, p. 27), les réalisateur·rice·s traversent des crises de rapport au temps, où la perte d’évidence de l’articulation entre passé, présent et futur se reflète dans les formes artistiques. Ce nouveau temps dans l’histoire du cinéma pourrait alors se caractériser comme une nouvelle période qui fait face à des défis similaires à celle de l’après-guerre : les « possibles » renvoient à l’ouverture, aux renouvellements des engagements contestataires par le prisme du cinéma, mais aussi au désarroi et à l’impuissance face à l’enchaînement des crises. L’objectif plus large de la recherche réside alors dans la possibilité de déceler ou non de nouvelles pratiques de création pour redonner un sens à et par l’image.

1 Dans le cadre d’un contrat doctoral à l’EHESS en Études politiques sous la co-direction de Stéphanie Latte Abdallah et d’Emma Aubin-Boltanski.

2 L’enquête se base sur vingt entretiens réalisés auprès de cinéastes de différentes générations entre janvier et juin 2022.

3 Par souci de confidentialité, les prénoms ont été modifiés afin de garantir l’anonymat des enquêté·e·s.

4 Entretien réalisé à Beyrouth le 09/02/2022.

Références

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Filmographie

Aprahamian Panos, Odorless Blue Flowers Awake Prematurely [zuhûr zarqâʼ ʻadîma al-râ'iḥa tastaîqizhu qabla âwânahâ], 2021, Liban, 6 mn.

Dagher Ely, A Declaration of War [îʻlân harb], 2021, Liban, 6 mn.

Kaskas Sarah, The Window [mâ baʻd âb], 2022, Liban, 16 mn.

1 Dans le cadre d’un contrat doctoral à l’EHESS en Études politiques sous la co-direction de Stéphanie Latte Abdallah et d’Emma Aubin-Boltanski.

2 L’enquête se base sur vingt entretiens réalisés auprès de cinéastes de différentes générations entre janvier et juin 2022.

3 Par souci de confidentialité, les prénoms ont été modifiés afin de garantir l’anonymat des enquêté·e·s.

4 Entretien réalisé à Beyrouth le 09/02/2022.

Figure 1. Capture d’écran du film The Window de Sarah Kaskas (2022)

Figure 1. Capture d’écran du film The Window de Sarah Kaskas (2022)

Avec l’aimable autorisation de Sarah Kaskas
Tous droits réservés

Figures 2 et 3. Captures d’écran du film The Window de Sarah Kaskas (2022)

Figures 2 et 3. Captures d’écran du film The Window de Sarah Kaskas (2022)

Avec l’aimable autorisation de Sarah Kaskas
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Figures 4 et 5. Captures d’écran du film Odorless Blue Flowers Awake Prematurely de Panos Aprahamian (2021)

Figures 4 et 5. Captures d’écran du film Odorless Blue Flowers Awake Prematurely de Panos Aprahamian (2021)

Avec l’aimable autorisation de Panos Aprahamian
Tous droits réservés

Figure 6. Capture d’écran du film Odorless Blue Flowers Awake Prematurely de Panos Aprahamian (2021)

Figure 6. Capture d’écran du film Odorless Blue Flowers Awake Prematurely de Panos Aprahamian (2021)

Avec l’aimable autorisation de Panos Aprahamian
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Figures 7 et 8. Captures d’écran du film A Declaration of War de Ely Dagher (2021)

Figures 7 et 8. Captures d’écran du film A Declaration of War de Ely Dagher (2021)

Avec l’aimable autorisation de Ely Dagher
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Figure 9. Capture d’écran du film A Declaration of War de Ely Dagher (2021)

Figure 9. Capture d’écran du film A Declaration of War de Ely Dagher (2021)

Avec l’aimable autorisation de Ely Dagher
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Charlotte Schwarzinger

Doctorante en études politiques, EHESS (École des hautes études en sciences humaines et sociales) – CéSor (Centre d’études en sciences sociales du religieux), France ; IFPO (Institut français du Proche-Orient), Liban

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