Une vulnérabilité imaginée ? L’isolement politique et économique du premier mouvement autonomiste corse au cœur des années 1930

An imagined vulnerability? The political and economic isolation of the first Corsican autonomist movement in the mid-1930s

Vincent Sarbach-Pulicani

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Vincent Sarbach-Pulicani, 2025, “Une vulnérabilité imaginée ? L’isolement politique et économique du premier mouvement autonomiste corse au cœur des années 1930”, Mutations en Méditerranée, no 3, mis en ligne le 01 novembre 2025, consulté le 11 décembre 2025. URL : https://www.revue-mem.com/573

Cet article entend étudier l’isolement politique et économique du « Partitu Corsu Autonomista » (PCA), premier mouvement autonomiste corse fondé en 1923 par Petru Rocca et incarné par son journal A Muvra. Dans la décennie précédant la Seconde Guerre mondiale, les postures politiques de plus en plus radicales et les difficultés financières liées à la crise économique de 1929 ont contribué à rendre ce mouvement particulièrement vulnérable aux offensives des autorités françaises. Face aux différentes menaces supposées qui pèsent sur l’île tyrrhénienne à l’instar de la francisation, les autonomistes entendent incarner la solution politique idéale pour défendre les valeurs prétendument traditionnelles du peuple corse. Soucieux des problématiques insulaires, ils se trouvent à la croisée des rivalités entre la France et l’Italie en Méditerranée. Alors que les tensions diplomatiques atteignent leur paroxysme dans les années 1930, le PCA se trouve piégé par ce contexte international instable, par les liens qu’il entretient avec le régime fasciste et les rivalités politiques et journalistiques qu’il cultive avec la scène politique locale. En analysant le discours autonomiste au sein de la Muvra, cette étude vise à montrer comment les muvristes ont mobilisé stratégiquement une certaine vulnérabilité existante pour renforcer leur propos politique émancipateur vis-à-vis de la France.

This article seeks to examine the political and economic isolation of the “Partitu Corsu Autonomista” (PCA), the first Corsican autonomist movement founded in 1923 by Petru Rocca and embodied by its newspaper A Muvra. In the decade preceding the Second World War, increasingly radical political positions and financial difficulties linked to the 1929 economic crisis contributed to making this movement particularly vulnerable to offensives by French authorities. Faced with various perceived threats weighing upon the Tyrrhenian Island, such as Francization, the autonomists sought to embody the ideal political solution for defending the allegedly traditional values of the Corsican people. Concerned with insular issues, they found themselves at the crossroads of rivalries between France and Italy in the Mediterranean. As diplomatic tensions reached their peak in the 1930s, the PCA became trapped by this unstable international context, by its ties with the fascist regime, and by the political and journalistic rivalries it cultivated with the local political scene. Through analysing autonomist discourse within A Muvra, this study aims to demonstrate how the Muvrists strategically mobilized a certain existing vulnerability to strengthen their emancipatory political discourse towards France.

Introduction

La Corse se trouve dans une situation particulièrement instable au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le conflit a été très coûteux pour la petite île méditerranéenne, et le nombre de morts a donné lieu à un très long débat1. Indépendamment de ces controverses, les crises économiques et sociales que la Corse a connues depuis le début du xxe siècle ont entraîné des répercussions importantes sur l’univers politique insulaire. L’ancien combattant Petru Rocca fonde ainsi en 1923 le « Partitu Corsu d’Azione » (« Parti Corse d’Action »), seulement trois ans après la création de son journal « A Muvra » (« le mouflon »), d’après l’animal emblématique de la faune insulaire symbolisant la ténacité et le courage. L’histoire de cet hebdomadaire est intimement liée à celle du parti d’action, devenu « Partitu Corsu Autonomista » (« Parti Corse Autonomiste » ou « PCA ») en 1926, conférant au mouvement « muvriste » (ou « corsiste », ces deux termes sont assimilables2) une ligne doctrinale claire (Polacci 1974 ; Chaubin 2015). L’existence de ce parti autonomiste n’est alors pas exclusive à la Corse ; à la même période d’autres partis se structurent dans différentes régions de France et d’Europe, à l’instar du « Heimatbund » d’Alsace-Lorraine créé en 1926 ou encore du « Partidu Sardu d’Azione » en Sardaigne, fondé en 1921 par Emilio Lussu, et ayant inspiré le nom du PCA (Pomponi 1977 ; Gras 1977 ; Carney 2021 ; Arzalier 2014 ; Ory 1997).

En désirant aller à contre-courant de la politique clanique insulaire, incarnée durant l’entre-deux-guerres par les figures de François Piétri à droite (« piétristes ») et d’Adolphe Landry à gauche (« landristes »), les autonomistes défendent une autonomie politique3 dans le cadre français sur fond d’arguments culturels (Pellegrinetti et Rovere 2004 ; Lenclud 1986 ; Briquet 2001). Si le régionalisme corse remonte à la fin du xixsiècle par l’engagement du poète Santu Casanova, les autonomistes de Petru Rocca et de son frère Matteo n’hésitent pas à récupérer les thématiques culturelles à des fins résolument politiques, leur discours se rapprochant de celui de l’extrême-droite d’alors (Schor 1988 ; Joly 2012 ; Lejeune 2003). Ils ont suscité une forte opposition dès leur entrée en politique en raison de leur ton virulent, à une époque où les pratiques journalistiques connaissaient de profondes transformations, comme en témoigne la création du Syndicat des journalistes en 1918 (Delporte 1999 ; Delporte, Blandin et Robinet 2016). Avec la crise de 1929 et l’accélération des prétentions territoriales fascistes sur l’île, la décennie 1930 est marquée par un isolement de plus en plus important du mouvement sur la scène politique locale. En effet, les liens entre l’Italie et le PCA se retrouvent au cœur des dénonciations du mouvement en France, en particulier à partir de 1936 avec les nouvelles tensions diplomatiques entre les deux puissances méditerranéennes liées à l’invasion italienne de l’Éthiopie (Paci 2015 ; Giglioli 2001 ; Pellegrinetti et Sarbach-Pulicani 2024).

Le corsisme apparaît donc comme le premier mouvement politique de contestation visant à promouvoir des réformes institutionnelles, dans un contexte d’affirmation progressive de la souveraineté française sur l’île depuis le xixe siècle. Il s’agit donc d’étudier le PCA comme un groupe minoritaire, en situation de vulnérabilité politique face aux institutions républicaines. En ce sens, notre démarche se rapproche de ce qui peut être fait pour d’autres périodes historiques, comme c’est le cas avec les minorités politiques durant la Révolution française étudiées au sein de l’ouvrage dirigé par Christine Peyrard (Peyrard 2007). Au-delà de leurs interactions avec les groupes majoritaires, il s’agit également de comprendre la façon dont cette vulnérabilité affecte leur vision des autres minorités, politiques, ethniques ou religieuses, dans une île au cœur d’une Méditerranée des migrations (Calafat et Grenet 2023). Le dernier enjeu de l’étude d’une vulnérabilité politique concernant le PCA est la conscientisation supposée de cette situation et la manière dont celle-ci affecte leur discours. L’objectif est donc de réfléchir sur la manière dont les corsistes ont « perçu, vécu, et analysé » leur statut de minorité politique (Peyrard 2007, p. 9).

Les autonomistes s’appuient sur le caractère insulaire de la Corse pour alimenter leur discours identitaire par la mise en avant de la vulnérabilité de l’île face aux éléments ultramarins. Il est donc pertinent d’étudier ce phénomène sous le prisme de l’insularisme, un concept issu des études en géographie et qui exprime « la propension qu’ont souvent les insulaires à cultiver à l’excès leur spécificité » (Brunet, Ferras et Théry 1993, p. 281). L’insularité favorise alors, au sein des discours insularistes, la culture des différences entre île et métropole sur les plans politique et économique. L’historienne Deborah Paci applique ces considérations au cas de la Corse en évoquant sa vulnérabilité géopolitique comme une « composante constante de son histoire » (Paci 2015, p. 31). En résumé, le discours insulariste, alimenté par l’isolement géographique de l’île, influence le discours autonomiste, lui-même entretenu par un isolement économique et politique propre au mouvement. Pour le géographe François Taglioni, il existe en effet un rapprochement définitionnel entre insularisme et régionalisme, spécifiquement dans la surévaluation de la vulnérabilité insulaire au sein de leurs discours respectifs (Taglioni 2010, p. 422).

Le présent article entend plus spécifiquement étudier cette situation de vulnérabilité du premier mouvement autonomiste corse en mettant en évidence son pragmatisme face à la situation qu’il subit. Nous partirons du constat de l’isolement du PCA face à des adversaires de plus en plus nombreux, notamment dans le milieu de la presse, à travers l’exemple de L’Annu Côrsu bastiais. Puis nous montrerons que le discours muvriste est largement alimenté par cette situation, les autonomistes se positionnant en victimes historiques des autorités et en sauveurs naturels de la Corse. Nous exposerons enfin qu’au-delà de la posture politique, les muvristes ont cherché des appuis extérieurs à la Corse, tant en France qu’en Italie, ce qui a soulevé des interrogations quant à leur possible statut d’agents d’une puissance étrangère. Nous aborderons ces questionnements en croisant plusieurs types de sources. Outre la littérature secondaire citée auparavant, notre corpus principal est constitué d’articles parus dans la Muvra (AM) ainsi que dans d’autres périodiques. L’ouvrage de Hyacinthe Yvia-Croce intitulé Vingt années de corsisme, 1920-1939, publié en 1979, représente également une ressource précieuse (Yvia-Croce 1979). Les sources d’archives permettront de compléter le propos en analysant l’envers du décor, du côté des autorités françaises comme du gouvernement italien. Nous exploiterons donc principalement des documents administratifs issus des archives départementales de Corse (ADC), mais également du Bas-Rhin (ADBR). Enfin, nous nous appuierons sur des documents issus de l’Archivio Storico Diplomatico de Rome (ASD) afin d’illustrer les liens entre les muvristes et les fascistes italiens.

Faire face à de nombreux adversaires

Les muvristes minoritaires sur la scène politique locale

L’axe de dénonciation principal de la défaillance du système politique insulaire est la question du clanisme dans la société corse. C’est un fait politique observé à l’intérieur et à l’extérieur de l’île depuis de nombreuses années. Il s’agit d’un phénomène systémique, ancré dans la société, mais qui ne relève que des réseaux clientélistes relativement communs « dans les régions rurales françaises durant la longue phase d’apprentissage de la politique démocratique » (Briquet 2001). La situation hégémonique des landristes et piétristes, qui dominent les quatre sièges de député durant toute l’entre-deux-guerres, est régulièrement dénoncée par les muvristes, notamment dans cet article de l’auteur sous pseudonyme « Dell’Andrea » (AM, 10-15 mai 1939) :

La vaine et stérile lutte des clans, qui, depuis tant de lustres, divise chacun de nos villages en deux factions ennemies, s’est manifestement avérée incapable de résoudre le problème, pourtant si simple, du Relèvement de la Corse. […] les deux clans, survivance de l’ancienne politique familiale, n’avaient et n’ont jamais rien eu de partis d’idées. Leur seul, leur véritable but politique, ne fut jamais que de sauvegarder et affermir la prépondérance de certaines familles, de certaines castes hermétiquement closes.

Ce bipartisme est une caractéristique inhérente à un système clanique. Il se fait à tous les niveaux de la vie politique insulaire, des sièges de député aux élections municipales des villages. La figure du chef de clan est un élément central, car « l’idée suivant laquelle c’est à la tête du groupe que réside son honneur fonde symboliquement l’organisation clientélaire » (Lenclud 1986, p. 155). Cette centralisation de la vie politique est donc un frein pour les muvristes, estimant être victimes de cette situation qui empêche le développement du PCA.

Ce problème ne peut s’évoquer sans comprendre le contexte politique national des années 1930 avec la montée progressive du Front populaire et l’action des ligues fascisantes. Alors que l’union des gauches corses axe sa campagne sur « l’abrogation des décrets-lois, la dissolution des ligues ou des questions liées à la paix et à la défense nationale, compte tenu du contexte irrédentiste », la droite piétriste se concentre davantage sur la dénonciation du Front populaire en jouant sur la peur du communisme en vogue dans l’Europe de l’entre-deux-guerres (Pellegrinetti et Rovere 2004, p. 276). Face à l’instabilité provoquée par la victoire de la coalition de gauche en Corse en 1936, Matteo Rocca publie un article en italien nuançant cet événement, en tentant de faire ressortir le positif pour les autonomistes (AM, 29 juin 1936) :

L’opinion publique corse a, bien entendu, été affectée par les dernières fluctuations de la politique générale. À plus petite échelle, il y eut à Ajaccio, Bastia, ainsi que dans les autres centres de l’île, de nombreux défilés de manifestants et de grévistes, chantant l’Internationale et d’autres hymnes révolutionnaires. Même ici il y aurait lieu de se demander si le succès rencontré auprès des masses insulaires par les idées et le programme du « Front populaire » sera définitif ou non. En tout cas, nous ne pouvons douter de la sincérité de tant de nos compatriotes qui, en adhérant aux partis extrêmes, ont manifesté leur dégoût pour la politique égoïste qui a été suivie en Corse jusqu’à présent, et leur profond mépris pour ceux qui ont toujours soutenu une telle politique4.

Il ne faut néanmoins pas lire ici une quelconque complaisance envers les partis de gauche. Les autonomistes sont foncièrement anticommunistes et méprisent au plus haut point le Front populaire (FP). Face à cette volonté de rassemblement voulue par cette alliance, les partis de droite ne voient dans la nouvelle attitude des communistes que « faux-semblants, que ruse, que complot pour conquérir le pouvoir » (Lejeune 2003, p. 163).

Cet anticommunisme est symbolisé par le parcours atypique de Lucien Orsini, dit Orsini d’Ampugnani, autonomiste s’étant mis au service du régime mussolinien. Ce dernier est, selon Alessandra Giglioli, l’exemple parfait « de la médiocrité et de la vénalité de ces individus, poussés par des intérêts égoïstes et individuels, plutôt que par un dévouement sincère à la cause de l’italianité de l’île » (Giglioli 2001, p. 247). Néanmoins les auteurs restés fidèles à A Muvra reconnaissent volontiers que les communistes et les autonomistes partagent un ennemi commun : l’impérialisme et le capitalisme (AM, 23-1er août et septembre 1935) :

Le grand capitalisme, il est facile de le comprendre, a le plus grand intérêt à l’échec des revendications autonomistes et fédéralistes. En effet, la législation constitutionnelle et administrative actuelle permet aux trusts et aux banques d’étendre rapidement leur emprise à la France entière.

Cet éventail très large d’expressions d’opinions politiques parmi les muvristes, exprimé ici par René Emmanuelli, témoigne cependant d’une idée persistante : la lutte contre une emprise étrangère. Leur désillusion progressive en la politique insulaire se traduit par un désintérêt croissant envers la scène locale pour se rapprocher d’une pensée anticommuniste, anticapitaliste et pro-italienne de plus en plus extrême.

L’État contre la Muvra

Pour les muvristes, l’État français représente l’adversaire principal. L’inversion symbolique des allégories de la République française est monnaie courante dans les colonnes de la Muvra, à l’instar de Marianne, transformée en « marâtre » sous la plume des muvristes. En contraste, Maria Saveria Rocca-Pozzo di Borgo illustre ici une figure féminine corse, fière et vêtue d’une « faldetta » noire de deuil (figure 1). Mais les critiques adressées à l’État sont nombreuses, portant sur des thèmes tels que l’abandon, la domination, la colonisation ou encore la francisation.

Figure 1. Donna corsa, Maria Saveria Rocca-Pozzo di Borgo

Figure 1. Donna corsa, Maria Saveria Rocca-Pozzo di Borgo

A Muvra, 20 janvier 1935

Les invectives dirigées contre le gouvernement de Paris sont donc une constante pour la Muvra tout au long de l’entre-deux-guerres, et les autorités n’ont pas attendu l’orée de la Seconde Guerre mondiale pour réagir. Le journal est ainsi interdit au Maroc dès 1923 par crainte de la propagation d’idées séparatistes dans les colonies et du rapprochement du président de la République du Rif Mohamed Abdelkrim avec les autonomistes de Petru Rocca (Polacci 1974, p. 124). Les accusations de séparatisme de la part de l’État et de la presse unioniste s’accentuent réellement au cours des années 1930 avec l’accélération de la pénétration fasciste dans l’île. Bien qu’ayant toujours défendu une ligne proprement autonomiste, les corsistes continuent d’être accusés de trahison envers la France. Le chef du PCA s’en amuse régulièrement, même lorsque les risques de censure sont au plus haut, notamment dans un article de juin 1939 et publié sous son pseudonyme « P. di B. » (AM, 15 juin 1939) :

Le séparatisme est un mot qui par lui-même ne signifie pas grand-chose. Il est de la famille de tant de vocables en isme, et dont la presse, particulièrement en ces derniers temps, a fait un usage excessif. […] Et notons que dans l’esprit de ceux qui s’en servent si malhonnêtement, le séparatisme constitue le plus grand de tous les crimes commis envers l’État. […] Reconnaissons donc que ce n’est pas en s’attaquant aux séparatistes présumés, probables ou… reconnus, que l’on consolidera l’idole aux pieds d’argile.

La seconde moitié des années 1930 constitue ainsi une véritable période de troubles pour les muvristes, comme l’affirme Rocca. La surveillance de l’imprimerie de la Muvra s’est considérablement intensifiée, en témoignent les nombreux rapports effectués par le commissaire spécial d’Ajaccio (cf. ADC, série 4M190). Leurs principaux rivaux journalistiques restent les cyrnéistes bastiais et leur revue L’Annu Côrsu, des régionalistes unionistes qui défendaient les spécificités culturelles de la Corse sans partager les revendications politiques muvristes5 (Arrighi 2008). La rupture survenue dans les années 1920 entre les mouvements n’a jamais été pardonnée par les frères Rocca. Les partisans fidèles au PCA qualifient les cyrnéistes de « renégats » et « traîtres francisés », les agrégés deviennent des « professeurs désagrégés » voués à l’autodestruction (Pomponi 1977, p. 403).

Les muvristes prennent alors la décision de recourir à l’arme syndicale pour se prémunir de cette situation de vulnérabilité politique dans laquelle ils se trouvent. Si ces derniers sont des activistes politiques, ils se considèrent comme des journalistes avant tout, car c’est « par le verbe qu’ils entendaient bâtir leur action » (Ibid., p. 398). Cette notion peut paraître un peu floue car ils évoluent dans un contexte de profonds bouleversements socio-économiques dans le monde du journalisme6. Les muvristes confirment néanmoins ce positionnement par leur adhésion au Syndicat des journalistes corses (SJC) en février 1934. Très rapidement, ils prennent le contrôle du bureau en juin de la même année, à la suite de la démission du directeur du SJC, Paul Valot, le 18 mai. Cette prise de pouvoir au sein du syndicat insulaire se concrétise par une restructuration de l’association, marquée par un appel aux « directeurs de journaux et journalistes professionnels de bien vouloir faire parvenir au plus tôt leur adhésion au nouveau Syndicat en cours de réorganisation » (AM, 1er juin 1934). Les muvristes sont donc particulièrement sensibles à la question de la liberté de la presse, en Corse comme dans le reste du pays (AM, 1er août 1939).

Face à l’accroissement des tensions internationales à la fin des années 1930, notamment avec l’Italie, une vaste vague d’atteintes à la liberté de la presse déferle à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs numéros de la Muvra sont alors censurés et les locaux du journal font l’objet de perquisitions par les services du renseignement général en 1938. Le glas de la Muvra sonne en septembre 1939, le journal autonomiste étant définitivement interdit à la suite d’articles saluant l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie.

Fabriquer sa vulnérabilité

Le danger de la francisation

L’isolement politique des muvristes sur la scène locale comme nationale n’est pas forcément perçu comme un obstacle mais davantage comme une justification à leur action. La mise en avant récurrente d’un particularisme culturel propre à la Corse permet notamment d’isoler l’île de la France face au danger d’assimilation. Trois traits identitaires majeurs sont alors mobilisés : l’histoire, la religion, la langue. Ces aspects de la culture insulaire sont exploités par les autonomistes afin d’éloigner un peu plus la Corse de la France, se plaçant comme les artisans d’un isolement mental nécessaire pour assurer l’émancipation du peuple corse. Il convient cependant de rappeler que l’argumentaire muvriste s’inscrit dans un discours contre-révolutionnaire dont « les bases reposent sur les dogmes fondamentaux qui structurent l’univers politique des consciences de la droite extrême » (Pellegrinetti 2003, p. 272).

La démarche de spécification de la culture insulaire s’opère principalement à travers un discours historique qui puise ses références dans les révolutions corses du xviiie siècle. L’idée est de contester un système de valeur étranger introduit par l’invasion française de 1768, laquelle aurait conduit à une perversion progressive de l’identité insulaire par le biais de la République, en insistant notamment sur la trahison de certains Corses envers leur patrie. En s’aidant de documents d’archives, utilisés à leur avantage sans recul critique, les muvristes alimentent un discours anti-Français et anti-Corses « impinzutiti » (terme péjoratif désignant les Corses assimilés), comme en témoigne cet article anonyme de 1933 (AM, 1er avril 1933) :

Plus que dans n’importe quel pays, les gouvernements français, de 1769 à aujourd’hui, ont trouvé en Corse des magistrats assez vils – la politique du moment l’exigeant – pour tordre le nez à la justice. Le jugement que nous reproduisons ci-dessous, est – nul ne pourrait le nier – une preuve parmi mille de la bassesse de ces hommes qui ont comme tâche original la trahison, et que le conquérant a chargé de tenir le fléau de la justice […]. Mais laissons les citoyens renégats Colonna, Borboni, Bianchetti, Leca et Tramoni exposer leurs considérants et insulter, de surcroît, le Père de la Patrie, Pasquale Paoli7.

La tentative de préservation d’un particularisme corse passe également par la dénonciation de la folklorisation de l’île opérée par les romanciers français du xixe siècle, à l’instar de Prosper Mérimée et de ses nouvelles Mateo Falcone (1829) et Colomba (1840). Cette période, présentée comme charnière par les corsistes, marque le début d’une francisation massive de la société insulaire. Ils attaquent régulièrement la Troisième République, tenue pour responsable de cette folklorisation, considérant les spécificités corses comme une « manière singulière de participer à l’universel » (Pellegrinetti et Rovere 2004, p. 19). Il s’agit dès lors, selon les muvristes, d’un siècle de mutation culturelle et politique, interprété comme une période de dilution des valeurs prétendument traditionnelles de la société corse dans les méandres de l’universalisme républicain.

La constitution d’une littérature nationale propre à la Corse apparaît donc comme essentielle pour les autonomistes dans le but d’émanciper l’histoire littéraire insulaire du carcan français, une démarche pouvant être rapprochée du Risorgimento delle Lettere italien (Gendrat-Claudel et al. 2013). Ils estiment en effet que « tout projet d’émancipation passe automatiquement par l’élaboration d’une littérature nationale » (Pietrera 2023). La « stamparia di A Muvra » (« imprimerie de la Muvra »), qui assure l’édition des ouvrages en langue corse, symbolise cette volonté muvriste de promouvoir une véritable identité poétique corse. Cette ambition culturelle se manifeste également à travers l’organisation des « merendelle d’i pueti corsi » (« pique-niques des poètes corses »), tradition instaurée par les muvristes au début des années 1920 et maintenue tout au long de l’entre-deux-guerres.

Figure 2. Pontenovu vistu da i storici sciuvini, Matteo Rocca

Figure 2. Pontenovu vistu da i storici sciuvini, Matteo Rocca

A Muvra, 15 août 1933

L’idée de « recorsiser » ces spécificités religieuses, historiques et culturelles s’inscrit dans une volonté de légitimation du discours autonomiste. Il ne s’agit pas seulement de se créditer de la vérité, mais également de dénoncer la déformation des faits par les historiens continentaux, comme l’illustre la caricature de Matteo Rocca (figure 2). La bataille de Ponte-Novo est l’événement le plus fréquemment mobilisé, car elle représente, aux yeux des muvristes, le tournant fatal des libertés insulaires. Plutôt que de recourir au réalisme historique, ils choisissent d’en proposer une lecture symbolique, mettant en scène la vulnérabilité d’une jeune république face à l’envahisseur français, un combat d’une profonde injustice et perdu d’avance pour les « naziunali » (« nationaux »). Ce destin dramatique de la Corse paoline devient ainsi un objet d’une « force d’évocation tragique » (Guerrini 2007, p. 145) régulièrement exposé dans la presse ou dans les manifestations politiques.

Lutter contre les menaces intérieures

Outre le contexte politique particulièrement instable, les muvristes mettent régulièrement en avant l’existence d’une menace intérieure à l’île, rendant la société – et le parti autonomiste – vulnérable aux supposées conspirations judéo-maçonniques et communistes. Cette idée de complots fomentés par des agents du bolchevisme est accentuée par la menace potentielle représentée par l’URSS, ce que Don Paul Leonetti évoque le 15 juillet 1939, à l’aube de la guerre (AM, 15 juillet 1939) :

Les communistes s’efforcent de plus en plus d’attirer à eux les paysans. Maurice Thorez les appelait récemment nos « frères paysans ». Mais ce sont là simplement d’habiles manœuvres pour faire pénétrer leur propagande dans les campagnes en vue de la confiscation des terres et de la suppression de la propriété privée. C’est là, en effet, l’un des objectifs des chefs révolutionnaires, fidèles à la pure doctrine du marxisme. Cette expropriation de la terre a été réalisée de 1927 à 1938 par Staline en Russie.

L’idée d’un complot judéo-maçonnique ou judéo-bolchévique est en réalité largement répandue dans toute la sphère médiatique de l’extrême-droite française. Le contrôle et la destruction de la nation sont autant de thématiques qui trouvent un écho dans la Muvra. À l’instar du quotidien monarchiste L’Action française, régulièrement cité, l’hebdomadaire autonomiste fait de l’antisémitisme un « thème mobilisateur, capable de soulever l’indignation unanime des militants » (Joly 2012, p. 111). La publication de l’article du juif allemand Rudolf Steiner, dans l’édition européenne du journal américain The New York Herald, illustre le racisme latent du journal. La proposition avancée par Steiner, préconisant la création d’un État juif en Corse après la déportation de la population insulaire dans le Midi français, a suscité une vive polémique dans les colonnes du périodique autonomiste. Antoine François Franchi revient en septembre 1938 sur cette proposition, dénonçant un complot juif et britannique visant à menacer l’Italie (AM, 15 septembre 1938) :

Dominion britannique ? Peut-être pas, mais, sûrement, en opposition à la tournure naturelle que prennent les théories scientifiques racistes, la neutralisation de la Corse. […] À l’inverse d’une Corse italienne ou pro-italienne, instrument de paix et de dignité, une Corse hébraïque anti-italienne ; canon – adieu cher pistolet aux Choiseul et Pelletan ! – pointé sur Rome, cœur du Nouvel Empire, par l’artillerie anglo-saxonne8.

L’intégration de la caricature antisémite comme complément au discours est largement répandue dans la Muvra. Les dessins de Matteo Rocca constituent des outils de propagande très efficaces pour orienter « l’image de la Corse et des Corses vers une vision plus conforme à ses préoccupations » (Lepeltier 2007, p. 136). Ce racisme spécifique s’inscrit dans un ensemble plus large illustrant une vision péjorative des étrangers, notamment des Français et des Africains. Cette caricature véhicule les clichés finalement très communs dans la caricature française des années 1930. La surreprésentation des étrangers dans la presse est alimentée par un imaginaire xénophobe solidement ancré dans les mentalités (Schor 1988).

Figure 3. Neutralizzazione, Matteo Rocca

Figure 3. Neutralizzazione, Matteo Rocca

A Muvra, 1er octobre 1938

Cette caricature (figure 3), publiée en réaction au même article de Rudolf Steiner évoqué précédemment, met en scène une comparaison entre la Corse française et la « Corse juive », présentées comme une succession de fléaux menaçant l’île. On remarque aisément toute la symbologie classique associée au complotisme judéo-maçonnique avec l’Œil de la Providence, que l’on retrouve dans les représentations des francs-maçons.

Le dernier recours : le PCA

Face à ces menaces, qu’elles soient extérieures ou intérieures, les autonomistes tentent d’assumer le rôle de défenseurs de la nation. Ils considèrent ainsi que l’inaction constante des courants politiques traditionnels et leurs dérives sont responsables de la montée de ces nouveaux périls. La suppression de ce système archaïque devient donc un enjeu majeur pour les corsistes, qui considèrent que les électeurs corses alimentent, souvent malgré eux, un système paradoxalement défavorable à leurs propres intérêts, selon « Dell’Andrea » (AM, 20-28 mai 1939).

Notre devoir est de démasquer la duplicité des clans, dispensateurs d’une manne qui n’est qu’un poison, complices d’une spoliation basée sur l’artificielle improductivité de notre île […]. Notre devoir est d’inciter nos compatriotes à se préoccuper davantage de leur pays, à les tirer du sortilège qui les envoûte, à leur montrer enfin et leur intérêt véritable et la nécessité de lui dédier le meilleur de leur pensée en attendant de lui consacrer leur labeur.

Le PCA apparaît ainsi comme le seul acteur politique capable, selon ses partisans, de protéger l’île de ses « vices historiques », perpétués par un gouvernement central qui ne se soucierait guère de l’intérêt des Corses. Seul rempart face à la francisation de l’île et de l’importation de systèmes de valeurs étrangers à la Corse, les muvristes inscrivent ce discours dans la continuité de l’héritage patriote de Pasquale Paoli. Ce faisant, ils projettent leur propre sentiment de vulnérabilité sur l’ensemble de la société corse. Face à la crise de la modernité, ils entendent préserver un isolement mental de l’île, se positionnant comme les « garants de la société corse face à la dangerosité du monde et de la société de consommation » (Sarbach-Pulicani 2023). Pour les corsistes, seuls les « vrais corses » peuvent prétendre à ce rôle de défenseur de la « race pure » et tenir à distance les menaces fondamentales pesant sur le peuple insulaire. La dimension eugéniste du muvrisme constitue une thématique centrale, étroitement liée aux discours nationalistes européens des années 1930. Dominique Carlotti précise en ce sens que les Corses seraient issus d’une race particulière « étant donnée l’insularité qui préserva ce groupe d’habitants de séries de mélanges, conservant un noyau très pur de race latine » (AM, 20 juillet 1934).

Les muvristes assument donc le paradoxe de cette insularité : facteur de vulnérabilité face aux ingérences extérieures, mais aussi condition nécessaire à la préservation de l’intégrité de la race. Ce positionnement illustre la manière dont les autonomistes instrumentalisent la vulnérabilité perçue de leur action et de l’île, même si la réalité semble être bien différente de leur discours.

L’isolement imaginé : les soutiens extérieurs au mouvement

Une internationale autonomiste ?

Les relations des muvristes avec les mouvements autonomistes de France sont cordiales, notamment avec Breiz Atao et le Elsass-Lothringische Heimatbund. Petru Rocca a d’ailleurs participé au procès de Colmar de 1928, qui juge les autonomistes alsaciens. Les muvristes ont également relayé le manifeste du Heimatbund en 1926 (AM, 1er-8 août 1926), leur valant la rédaction d’un rapport du commissaire spécial d’Ajaccio à destination de son homologue de Strasbourg (ADBR, série 98AL671). Mais la fin précoce du mouvement alsacien n’empêche pas A Muvra de continuer à publier sur la région rhénane. Une série d’articles intitulée Voce d’Alsazia parue entre 1933 et 1934 (AM, du 15 août 1933 au 1er mars 1934) établit un parallèle explicite entre le « problème d’Alsace » (Gras 1977, p. 337) et le « problème corse ».

Le suivi de l’actualité autonomiste dans les autres régions, notamment à travers la chronique Minuranze naziunale, s’étend également à d’autres régions européennes. De nombreuses populations y sont évoquées, comme les Catalans ou les Allemands des Sudètes. Cet éventail très large traduit une volonté de mise en réseau des luttes régionalistes, évoquant une forme d’internationale autonomiste ou d’« européanisme » des mouvements identitaires, pour reprendre les termes de Sébastien Carney (Carney 2021)9.

La collaboration entre les différents mouvements autonomistes français et européens se matérialise également dans la mise en place d’initiatives communes. La première d’entre elles est la création du Comité central des minorités nationales de France (CCMNF), le 12 septembre 1927, en partenariat avec les autonomistes bretons et alsaciens, réunis pour revendiquer une France fédérale (Paci 2015, p. 113). Cette volonté de collaboration politique se poursuit dans la décennie suivante avec la création, en 1936, du Bulletin des minorités nationales (BMN), rebaptisé Peuples et frontières l’année suivante (Carney 2021, p. 43). Si la direction est assurée par les régionalistes du Parti autonomiste breton (PAB), c’est Petru Rocca lui-même qui se charge de la rédaction de la rubrique dédiée à la Corse. L’objectif de ces initiatives est double : défendre un projet politique commun et briser l’isolement des mouvements régionalistes pour leur permettre de faire front commun face à l’État central. L’autonomiste breton Olivier Mordrel met en évidence cet isolement, en partie responsable de la crise identitaire en Bretagne selon ses dires, dans l’introduction du premier numéro du Bulletin de 1936 (BMN, 1er juin 1936, p. 5) :

Isolés au bout de la France avec la mer dans le dos, angoissés de l’amoindrissement séculaire de la civilisation celtique, assistant si l’on peut dire à la destruction méthodique et implacable de leur langue, de leur vie publique, de leur génie national par la machine meurtrière de l’école et de l’État français, ils connaissent une psychose de révolte, qui rappelle celle de l’Irlande. N’ayant ni le nombre, ni l’appui extérieur, ni la sécurité, ils doivent faire appel plus que d’autres aux vertus héroïques.

Cette revue traite de l’ensemble des minorités nationales françaises, en établissant des parallèles entre leurs situations, perçues comme fondamentalement similaires malgré des spécificités propres à chacune. Ce comparatisme occupe une place importante dans le discours autonomiste de la Muvra qui suit les événements internationaux des années 1930 sur le sujet, et notamment l’affaire des Sudètes. Adoptant une posture pacifiste héritée des associations d’anciens combattants, les muvristes sont favorables au rattachement de la minorité allemande de Tchécoslovaquie au Troisième Reich, estimant qu’une guerre inutile et étrangère aux intérêts corses devait être évitée (AM, 20-1er septembre et octobre 1938) :

Aux mamans corses qui ont vu sacrifier, de 14 à 18, 20 000 jeunes, fleur de notre race, par cette formule mensongère du Droit et de la Civilisation, invention judéo-maçonnique, nous demandons si elles veulent voir assassiner leurs fils – tous leurs fils ! – pour permettre à 7 millions de Tchèques d’opprimer et de piétiner 5 millions d’Allemands, de Polonais et de Hongrois10.

Ainsi, Antoine Barzocchi confirme cette volonté de voir l’État français ne pas interférer dans cette crise, en rappelant qu’il relève du droit de l’Allemagne de venir en aide aux minorités nationales prétendument opprimées par les Tchèques. Cette défense du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes s’inscrit dans une valorisation constante, par les corsistes, du modèle fédéral allemand et des libertés accordées aux Länder. Pour autant, ils ne manquent pas de critiquer les réformes de centralisation du pouvoir mises en œuvre par le régime hitlérien (Gosselin 1991, p. 58).

Le relais des irrédentistes fascistes

Les conditions d’existence du PCA, largement incarné par son organe de presse, dépendent principalement de la situation économique de la Muvra. Le mode de financement d’un journal dépend en grande partie de sa ligne éditoriale : fonds extérieurs, publicité, ventes au numéro et abonnements sont autant de leviers pour assurer une stabilité financière. Daniel Polacci avance les chiffres de 806 abonnements en 1924 et de 947 en 1928, dont 80 en Italie. Toutefois, ces données varient beaucoup selon les sources, qu’il s’agisse des renseignements français ou des adversaires politiques des muvristes (Polacci 1974, p. 52). Si les chiffres exacts sont difficiles à établir, ils semblent insuffisants pour garantir la survie économique du journal, en particulier durant l’entre-deux-guerres, une époque charnière pour le monde journalistique. Face à la baisse des salaires, au déclin des quotidiens parisiens et à l’augmentation des coûts des matières premières, la presse française a dû se réinventer. Les journaux qui n’ont pas pris le virage de la modernité des années 1930, incarné ici par les avancées techniques aux origines par exemple de la radio ou du photoreportage, se sont trouvés marginalisés (Delporte, Blandin et Robinet 2016).

Dès le début de son histoire, le journal corsiste bénéficie de financements extérieurs, notamment ceux de François Coty, célèbre industriel insulaire. De son vrai nom François Spoturno, le parfumeur ajaccien a financé la Muvra lorsqu’il désirait se lancer en politique (Sicard-Picchiottino 2006). Proche des milieux nationalistes, Coty finance de nombreux titres de presse, parmi lesquels L’Ami du peuple, afin d’asseoir son influence dans les sphères médiatiques régionales et nationales (Joly 2006, p. 96). Information au demeurant secrète, les muvristes révèlent l’affaire au milieu des années 1920 après des désaccords survenus à la suite de l’arrêt des financements, et se lancent dans une campagne diffamatoire à son sujet. Mais c’est le début de l’arrivée de subsides de la part du nouveau gouvernement de Mussolini qui marque un tournant dans la ligne politique du journal. Cette aide financière permet alors à la Muvra de survivre dans l’univers concurrentiel, et précaire, de la presse régionale corse.

L’argent des fascistes transite par l’intermédiaire de l’enseignant de lycée livournais Francesco Guerri, grand orchestre de la venue du poète Santu Casanova en Italie11, et le « Comitato per la Corsica » (Arzalier 2014, p. 51 ; Poupault 2014, p. 787). L’aspect économique est devenu central pour les irrédentistes au point d’estimer que « la campagne de propagande franco-italienne pour la Corse soit principalement menée avec de l’argent » (Giglioli 2001, p. 255). Le Comitato recevait une rente annuelle de 600 000 lires qui s’accroît chaque année jusqu’à atteindre la somme de 780 000 lires. Si Guerri ne finance pas uniquement la Muvra, c’est cette dernière qui reçoit la rente annuelle la plus importante, estimée à 120 000 lires.

Les liens entre corsistes et irrédentistes s’appuient sur une entente cordiale entre les partis, motivée par des considérations économiques. Les muvristes, et notamment Petru Rocca, sont de grands admirateurs de Mussolini et de son idéologie au point d’être considérés comme des « philofascistes corses » (Pellegrinetti et Sarbach-Pulicani 2024). D’un point de vue pragmatique, le régime mussolinien espère diffuser l’idée d’une italianité naturelle de la Corse à travers le soutien apporté au parti autonomiste. L’Italie est souvent évoquée dans les colonnes du journal et présentée sous son plus beau jour. Si cette alliance conjoncturelle avec les irrédentistes relève probablement d’un opportunisme corsiste, les deux courants partagent également des fondements idéologiques communs, particulièrement dans leur opposition à la franc-maçonnerie et à l’athéisme (Sarbach-Pulicani 2023). Les autorités fascistes saluent d’ailleurs régulièrement ces échanges amicaux, notamment dans ce rapport dressé par le ministère des Affaires étrangères, alors dirigé par Galeazzo Ciano, à destination du Grand Conseil fasciste qui s’est réuni le 4 février 1939 (ASD, Segr. Gen. 1923-1943, b. 1177) :

Le « Comité » entretient des rapports à caractère fiduciaire avec les Corses suivants, quelques-uns d’entre-deux sont des figures représentatives de ces milieux, qui échangent activement avec l’Italie et collaborent autant dans le Royaume que dans l’île à la défense de l’italianité corse : Orsini d’Ampugnani, Grimaldi, Notini, Carlotti, Piazzoli, Yvia-Croce, Matteo Rocca, les prêtres Giusti et Rossi et enfin tous les écrivains et poètes qui sont dans l’entourage de Petru Rocca12.

Bien que cordiales, ces relations n’en restent pas moins sujettes à leurs propres contradictions. Sur le plan culturel par exemple, de profondes divergences opposent les revendications régionalistes des muvristes aux aspirations irrédentistes des Italiens. Concernant la question de la langue, les fascistes estiment que le dialecte corse n’est que le fils de la langue italienne alors que certains corsistes les considèrent comme issus d’un ancêtre commun (Paci 2015). Cette hiérarchisation, d’apparence anecdotique, témoigne d’un désaccord profond sur la manière d’intégrer l’italianité du peuple corse au projet culturel fasciste. Cette logique se retrouve également dans la récupération des révolutions corses par le discours irrédentiste, allant même jusqu’à présenter la bataille de Ponte-Novo comme un élément fondateur de l’unité italienne elle-même (Corsica Antica e Moderna, janvier-juin 1938, p. 24) :

Un pont génois, à moitié détruit, puis d’autres gorges, et enfin, un autre pont génois, avec une croix blanche près de lui, « A Croce di u Ricordu ». Nous sommes à Pontenovo. Nous tendons les mains depuis les fenêtres, pour saluer la plaine fatale, où s’est déroulée la première bataille du Risorgimento italien. « Ici tombèrent les miliciens de Pasquale Paoli, combattant pour la liberté de la patrie », ont gravé les Corses non dégénérés au pied de cette Croix13.

Ces contradictions, entre désir de rapprochement et différences dans les discours respectifs, transparaissent également dans la collaboration du PCA avec les autres partis autonomistes de France. En 1936, alors que les relations entre corsistes et irrédentistes sont stables, le premier numéro du Bulletin des minorités nationales dénonce ouvertement le sort réservé aux minorités slaves dans les terres irrédentes récemment annexées en 1919. La revue bretonne relaie ainsi les propos d’un Dalmate slovène qui, lors d’un voyage à Trieste et à Zara, exprime son espoir de voir la Yougoslavie les délivrer « de cette tyrannie italienne » (BMN, 1er juin 1936, p. 8).

Conclusion

Les accusations de séparatisme et d’irrédentisme ont isolé politiquement le PCA en Corse, en dépit de ses liens avec d’autres mouvements autonomistes français et européens. Ce manque de soutien local ne les a pas empêchés d’adopter un discours plus radical que d’autres régionalistes, comme les cyrnéistes, tirant parti de ces accusations. L’instrumentalisation par les corsistes de la vulnérabilité perçue de la Corse, en miroir de leur propre marginalisation politique, est ainsi devenue un élément central de leur rhétorique. Les critiques constantes adressées à l’État et la politique insulaire ont entraîné une surveillance et une répression accrues de la part des autorités françaises, qui les considèrent comme des agents au service du régime mussolinien. Si leur défense de l’italianité corse a mis en lumière les différences culturelles avec la France, elle a également renforcé les soupçons de collusion avec l’Italie fasciste. En effet, le régime mussolinien se réapproprie le discours insulariste des autonomistes, qui s’inspire de celui des élites corses du xixe siècle (Paci 2012), pour alimenter son propre discours irrédentiste.

Le soutien économique et moral apporté par le régime italien a permis au mouvement muvriste de continuer à subsister, bénéficiant de conditions matérielles confortables au regard de l’influence réelle du mouvement sur la société insulaire. Il est toujours difficile de mesurer l’efficacité d’une propagande, mais nous pouvons identifier un certain nombre de faisceaux d’indices. Si nous partons du point de vue italien, le ministre des Affaires étrangères Galeazzo Ciano avoue lui-même en 1938, dans son journal politique, l’inefficacité de la stratégie irrédentiste consistant à soutenir les autonomistes locaux, en affirmant que « le parti de Petru Rocca ne compte pas plus de dix personnes » (Ciano 2015, p. 452).

L’échec fasciste se traduit par la multiplication des manifestations anti-italiennes en Corse, ce qui tend à fortement irriter les corsistes. Cette lutte contre l’irrédentisme atteint son paroxysme avec le serment de Bastia le 4 décembre 1938, lorsque 20 000 Corses jurent alors de « vivre et de mourir Français » (Chaubin 2015, p. 35). Dans un ultime paradoxe tel que l’Histoire en a le secret, certains muvristes sont incarcérés par les occupants allemands et italiens pendant la Seconde Guerre mondiale (Paci 2015, p. 131), avant d’être de nouveau arrêtés à la Libération. Le procès de Bastia qui s’ensuivit a vu, parmi les 14 inculpés, 5 condamnations à mort dont 4 par contumace. Dans leur désir de s’échapper de leur isolement pour mettre fin à une situation de vulnérabilité politique et économique, les premiers autonomistes corses se sont condamnés eux-mêmes à la dépendance envers une puissance extérieure dans une forme de vulnérabilité renversée.

1 L’estimation la plus basse fait état de 9 769 victimes alors que l’estimation la plus élevée avance le nombre de 40 000 morts. Le nombre de décès

2 Les termes « autonomistes », « corsistes » et « muvristes » seront utilisés comme des synonymes dans cet article.

3 En d’autres termes, une autonomie administrative dans laquelle les élus corses peuvent directement légiférer sur des problématiques liées à la Corse

4 « L’opinione pubblica corsa, naturalmente, ha subito le ultime fluttuazioni della politica generale. Su scala ridotta, si sono avute in Ajaccio

5 La revue L’Annu Côrsu est fondée en 1923 par les enseignants Paul Arrighi et Antoine Bonifacio et est éditée à Nice puis à Marseille. Elle paraît

6 L’institutionnalisation progressive du métier et la fragmentation des syndicats en France a eu pour effet de mal définir le statut des journalistes

7 « Più che in qualsìasi altru paese, i guverni francesi, da u 1769 ad oghie, hanu trovu in Corsica magistrati abbastanza vili – a pulitica di u

8 « Duminiu britannicu ? Forse micca, ma, per sicuru, in opposizione a u naturale piegu ch’elle piglianu e scientifiche teorie razziste

9 Cet internationalisme, théoriquement similaire aux grands mouvements politiques du xixe siècle, s’exprime dès les années 1920 avec les conflits en

10 « A e mamme corse chi hanu vistu sacrificà, da u 14 a u 18, 20,000 giovani, fiore di a nostra razza, per quella formula buggiarda di u « Drittu e

11 La grande tournée de Santu Casanova représente l’un des plus importants « coups de communication » du régime fasciste dans sa propagande

12 « Il « Comitato » intrattiene rapporti di carattere fiduciario con i seguenti corsi, alcuni dei quali sono figure rappresentative di quegli

13 « Un ponte genovese semi distrutto, poi altre gole, ed infine un altro ponte genovese, con vicino una croce bianca, “a Croce di u Ricordu”. Siamo a

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1 L’estimation la plus basse fait état de 9 769 victimes alors que l’estimation la plus élevée avance le nombre de 40 000 morts. Le nombre de décès corses pendant la Grande Guerre est un enjeu politique qui demeure d’actualité, qu’il s’agisse de prouver le rattachement de la Corse à la France pour les loyalistes, ou de démontrer une forme de sacrifice inutile pour les nationalistes. Voir notamment l’article de Didier Rey (2014).

2 Les termes « autonomistes », « corsistes » et « muvristes » seront utilisés comme des synonymes dans cet article.

3 En d’autres termes, une autonomie administrative dans laquelle les élus corses peuvent directement légiférer sur des problématiques liées à la Corse, comme l’enseignement de la langue. Ce modèle de gestion de l’île demeurerait encadré par l’État français, notamment dans certains domaines sensibles, comme les relations internationales ou la justice.

4 « L’opinione pubblica corsa, naturalmente, ha subito le ultime fluttuazioni della politica generale. Su scala ridotta, si sono avute in Ajaccio, Bastia, nonché negli altri centri dell'Isola, numerose sfilate di manifestanti e di scioperanti, al canto dell'Internazionale e di altri inni rivoluzionari. Anche qui sarebbe il caso di chiedersi se il successo incontrato presso le masse insulari dalle idee ed il programma del “Front populaire” sarà o non definitivo. Non si può ad ogni modo dubitare della sincerità di tanti nostri compatriotti, i quali coll'aderire ai partiti estremi hanno semplicemente voluto dimostrare il loro disgusto per la politica egoistica fin'ad ora seguita in Corsica, ed il loro profondo sdegno per quelli che hanno sempre sostenuto siffatta politica. » (Toutes les traductions du corse et de l’italien sont de l’auteur)

5 La revue L’Annu Côrsu est fondée en 1923 par les enseignants Paul Arrighi et Antoine Bonifacio et est éditée à Nice puis à Marseille. Elle paraît annuellement sous la forme d’un almanach, avec comme objectif de mettre en valeur la langue corse sur le modèle du Félibrige provençal.

6 L’institutionnalisation progressive du métier et la fragmentation des syndicats en France a eu pour effet de mal définir le statut des journalistes pendant l’entre-deux-guerres, malgré une première tentative de Georges Bourdon en 1931. Voir l’ouvrage de Christian Delporte (1999).

7 « Più che in qualsìasi altru paese, i guverni francesi, da u 1769 ad oghie, hanu trovu in Corsica magistrati abbastanza vili – a pulitica di u mumentu esiggendula – per torce u nasu a’ justizia. U judiziu chi noi riproducemu quì sottu, è – nisunu a puderà nigà – una prova fra mille di a viltà di st’omi chi hanu cume màcula originale u tradimentu, e chi u cunquistadore ha incaricatu di tene para l’asta di u cantaru. […] Ma lasciemu i cittadini rinnegati Colonna, Borboni, Bianchetti, Leca e Tramoni espone i so’ « considérants » e insultà, per cullà più in altu, u Babbu di a Patria, Pasquale Paoli. »

8 « Duminiu britannicu ? Forse micca, ma, per sicuru, in opposizione a u naturale piegu ch’elle piglianu e scientifiche teorie razziste, neutralizzazione di a Corsica. […] Invece d’una Corsica italiana o pro-italiana, strumentu di pace e di dignità, una Corsica ebrea anti-italiana ; cannone – addiu pistola cara a i Choiseul e a i Pelletan ! – puntatu sopra Roma, core di u Novu Imperu, da l’artigliere anglosassone. »

9 Cet internationalisme, théoriquement similaire aux grands mouvements politiques du xixe siècle, s’exprime dès les années 1920 avec les conflits en Irlande dans le cas des nationalismes dits périphériques.

10 « A e mamme corse chi hanu vistu sacrificà, da u 14 a u 18, 20,000 giovani, fiore di a nostra razza, per quella formula buggiarda di u « Drittu e di a Civilizzazione » invenzione giudeo-massonica, dumandemu s’elle volenu vede assassinà i so’ figlioli – tutti i so’ figlioli ! – per permette a 7 milioni di Cechi d’opprime e di calpestà 5 milioni di Tedeschi, di Polacchi e d’Ungheresi. »

11 La grande tournée de Santu Casanova représente l’un des plus importants « coups de communication » du régime fasciste dans sa propagande irrédentiste sur la Corse. Initiée en 1935 et organisée par Guerri, celle-ci se conclue par une rencontre officielle du poète avec Benito Mussolini et son installation définitive à Livourne, jusqu’à sa mort, l’année suivante.

12 « Il « Comitato » intrattiene rapporti di carattere fiduciario con i seguenti corsi, alcuni dei quali sono figure rappresentative di quegli ambienti, che corrispondono attivamente con l’Italia e collaborano tanto nel Regno che nell’Isola alla difesa dell’italianità corsa : l’Orsini d’Ampugnano, il Grimaldi, il Nutini, il Carlotti, il Piazzoli, Yvia-Croce, Matteo Rocca, i sacerdoti Giusti e Rossi ed infine tutti gli scrittori e poeti che si stringono attorno al Rocca. »

13 « Un ponte genovese semi distrutto, poi altre gole, ed infine un altro ponte genovese, con vicino una croce bianca, “a Croce di u Ricordu”. Siamo a Pontenovo. Dai finestrini protendiamo le mani tese, a salutare la piana fatale, dove si combatte la prima battaglia del Risorgimento italiano. “Qui casconu e milizie di Pasquale Paoli luttendu per a libertà di a Patria”, scolpirono i Corsi non degeneri ai piedi di quella Croce. »

Figure 1. Donna corsa, Maria Saveria Rocca-Pozzo di Borgo

Figure 1. Donna corsa, Maria Saveria Rocca-Pozzo di Borgo

A Muvra, 20 janvier 1935

Figure 2. Pontenovu vistu da i storici sciuvini, Matteo Rocca

Figure 2. Pontenovu vistu da i storici sciuvini, Matteo Rocca

A Muvra, 15 août 1933

Figure 3. Neutralizzazione, Matteo Rocca

Figure 3. Neutralizzazione, Matteo Rocca

A Muvra, 1er octobre 1938

Vincent Sarbach-Pulicani

Doctorant en Histoire contemporaine, Université Côte d’Azur, Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine

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