Introduction
Qu’est-ce qui distingue aujourd’hui les logiques d’aménagement du littoral de celles mises en œuvre dans les espaces urbains non côtiers ? Peu de choses, et c’est précisément là que réside l’un des enjeux de ces territoires. La standardisation des procédés constructifs, les matériaux et les choix urbanistiques ont permis d’accélérer l’aménagement du littoral avec pour modèle les « marinas », dans lesquelles les équipements, l’habitat et les services sont localisés. Ainsi, durant les « Trente Glorieuses », l’État français a pour seule ambition de développer le tourisme à la mer grâce, notamment, à la Mission Racine (Sagnes 2001 ; Brun et al. 2017). Depuis, le tourisme de masse est remis en cause en raison des problèmes écologiques qu’il soulève (Weishar 2021 ; Knafou et Fournier 2023). Dans une logique de post-tourisme, certains territoires touristiques se reconvertissent par la périurbanisation (comme les côtes atlantique et méditerranéenne), tandis que d’autres connaissent une désertification (stations thermales des Pyrénées ou du Massif central) (Bachimon et al. 2014 ; Stock et al. 2020). De plus, les propriétaires d’autrefois ont vieilli et beaucoup de retraités choisissent la vie sur le littoral tandis que les jeunes actifs sont pour beaucoup saisonniers (Marasovic 2015 ; Brun, Ganibenc et Malefant 2022). Imaginées pour le tourisme de masse, ces stations sont inadaptées à l’accueil des personnes âgées, en particulier les plus dépendantes. Les migrations résidentielles des retraités vers les littoraux de la Côte d’Azur ou Atlantique sont d’ailleurs référencées depuis le milieu des années 1970 (Cribier 1982). Loin d’être anodin, le vieillissement de la population s’impose comme un enjeu majeur pour les littoraux (Libault 2019). Ici, le vieillissement de la population correspond à une « composition par âge de la population qui évolue au fil du temps dans le sens général de l’augmentation de la proportion des personnes âgées » (Calot et Sardon 1999, p. 515)1. Non seulement la part des personnes âgées y est plus élevée que la moyenne nationale, mais leur proportion continue d’augmenter à un rythme soutenu, notamment en raison des migrations résidentielles des retraités (Bésingrand et Soumagne 2006 ; Zaninetti 2011 ; Doignon 2016 ; De Lapasse 2017 ; Dubois-Joye 2023). Ce double phénomène, à la fois structurel et dynamique, pose des défis majeurs en termes d’adaptation des lieux de vie, d’accès aux services et de prise en charge de la perte d’autonomie (Blanchet, Pihet et Chapon 2018). Ces enjeux se déclinent différemment selon les spécificités de chaque territoire, révélant des inégalités spatiales dans la capacité d’adaptation face au vieillissement démographique. Pourtant, aucune réponse d’ampleur ne semble émerger – de l’aveu même des acteurs interrogés – et les stratégies mises en place jusqu’à présent paraissent insuffisantes face aux mutations en cours. Dans ce contexte, l’adaptation du littoral devra prendre en compte conjointement les enjeux de vulnérabilité climatique et de vulnérabilité démographique.
Cet article s’appuie sur deux programmes de recherche menés successivement : l’un, de 2016 à 2021, consacré à la vulnérabilité des littoraux face aux changements climatiques2, l’autre, de 2022 à 2025 sur l’adaptation des territoires au vieillissement3. L’article revient sur les processus qui ont conduit au vieillissement accéléré du littoral et sur les enjeux d’aménagements4 qui y sont liés. Il s’agit de montrer en quoi cet enjeu de moyen terme est capital pour qui réfléchit à l’adaptation des villes côtières à l’horizon 2050 et au-delà. Après une présentation du terrain d’étude, des programmes de recherche mobilisés et de la méthodologie adoptée, l’analyse porte sur le contexte historique qui a conduit à cette situation spécifique du littoral, avec une attention particulière portée à la genèse de la Mission Racine et aux dynamiques de vieillissement. Enfin, les résultats mettent en lumière les tensions entre attractivité résidentielle, évolution des lieux de vie et capacités locales d’adaptation, dans un contexte d’intrication croissante des vulnérabilités climatiques, sociales et sanitaires.
Terrain, méthode et positionnement scientifique
La côte du golfe du Lion est très aménagée et vieillissante
La côte du golfe du Lion s’étend du delta du Rhône à la frontière espagnole sur 220 km (Figure 1). Elle comprend une trentaine de communes littorales et environ soixante autres dans l’arc rétro-littoral, réparties dans quatre départements (Gard, Hérault, Aude, Pyrénées-Orientales). En 2021, ces communes littorales accueillent environ 331 640 habitants, dont 30,6 % ont plus de 60 ans, contre 26,7 % pour la France métropolitaine (INSEE). Les zones basses et sableuses de cette côte urbanisée sont particulièrement exposées aux risques naturels littoraux : notamment l’érosion et les inondations marines, accroissant la vulnérabilité des habitants (Figure 2). L’urbanisation croissante et la hausse du nombre d’habitants sur cette côte contribuent à augmenter les risques liés à l’exposition des hommes et des biens aux aléas naturels. Les grandes villes comme Montpellier, Nîmes ou Perpignan sont en retrait du rivage, laissant place à un maillage de petites communes côtières. Sète et Narbonne sont les plus peuplées, avec respectivement 44 712 et 56 395 habitants en 2021 (INSEE). Le littoral est structuré par des stations balnéaires de première et deuxième générations, peuplées l’été, mais peu animées en hiver en raison de la forte part de logements secondaires inoccupés et d’une vacance commerciale marquée. Depuis une quinzaine d’années, ces espaces attirent une population de retraités, désormais installés à l’année (Cribier 1982 ; Zaninetti 2011).
Figure 1. Présentation des terrains d’étude
Sources : IGN et Corine Land Cover, 2020
Figure 2. Les zones basses de la côte du golfe du Lion
Sources : DDTM 34, IGN et Corine Land Cover, 2020
Hypothèse et dispositif méthodologique
L’hypothèse de départ examinée est que le vieillissement démographique pourrait représenter une opportunité de développement territorial plutôt qu’une contrainte (Pihet et Viriot-Durandal 2010 ; Blanchet, Pihet et Chapon 2018). Cette perspective s’appuie notamment sur le pouvoir d’achat relativement élevé de cette population, et le développement de services qui leur sont dédiés qui pourraient dynamiser l’économie locale (Davezies 2009 ; Talandier 2018). Cependant, certaines limites peuvent être soulignées : le vieillissement soulève des enjeux majeurs, liés notamment à la dépendance, aux inégalités économiques et aux limites des dispositifs d’assistance publique, fragilisés par la crise sanitaire de 2020. Adapter le littoral à ces évolutions suppose une mobilisation des acteurs publics et privés, dans un contexte contraint : chômage, pauvreté et forte exposition aux aléas naturels aggravés par le changement climatique. Ces vulnérabilités, sociale et climatique, se renforcent mutuellement. Par exemple, accompagner une population vieillissante devient difficile dans des communes où les fortes chaleurs estivales restreignent les sorties.
Cet article propose d’éclairer les contradictions et les défis de l’adaptation du littoral du golfe du Lion, à la croisée du vieillissement démographique et des changements climatiques. Il mobilise partiellement les résultats du premier programme consacré à la vulnérabilité des littoraux d’Occitanie, et repose principalement sur le second programme axé sur les territoires à forte concentration de personnes âgées. Financé par des acteurs privés de l’investissement, ce programme étudie les dynamiques de vieillissement et les formes d’adaptation territoriale à la perte d’autonomie.
La méthodologie repose sur :
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Une analyse statistique des données démographiques, de mobilité et d’accès aux services liés au vieillissement (INSEE, DREES, bases d’équipements, répartition par âge) ;
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Une analyse cartographique fondée sur les données aériennes de l’IGN ;
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Une analyse qualitative à partir de 25 entretiens semi-directifs menés auprès d’acteurs de l’urbanisme et du médico-social, complétée par un questionnaire diffusé dans les territoires concernés (78 répondants)5. L’analyse repose sur deux grilles : l’une catégorise les acteurs selon leur échelle d’action, les enjeux identifiés et les solutions envisagées ; l’autre, structurée par thématiques, fait ressortir les récurrences par territoire. Les cartographies issues du traitement statistique ont permis d’identifier les sites à enjeux et de nourrir les échanges.
Vulnérabilité aux aléas naturels et vieillissement de la population : de quoi parle-t-on ?
Les littoraux concentrent donc des dynamiques économiques et résidentielles fortes et subissent des pressions foncières et aléas climatiques de plus en plus importants. En géographie et géomorphologie, le littoral correspond « à l’intersection de la lithosphère avec l’hydrosphère » (Paskoff 2010, p. 3). En géographie humaine il correspond à « la bande de l’influence réciproque des activités maritimes et terrestres » (Tabarly 2007).
Le risque, en géographie, fait référence au croisement entre l’aléa, qui correspond aux « phénomènes potentiellement destructeurs […] et l’expression de ce potentiel sous la forme d’une probabilité » (Leone, Meschinet de Richemond et Vinet 2010, p. 19), et aux enjeux, « définis par les biens et les personnes exposées directement ou indirectement aux aléas » (Ibid.). Le terme de vulnérabilité dans la gestion des risques en géographie apparaît dans les années 1970 et correspond donc au « degré d’endommagement dû à l’exposition des enjeux [aux risques], puis par extension, au degré d’exposition [potentiel à ces risques], ce qui revient à insister sur l’aspect spatial des enjeux » (Veyret et Reghezza 2005, p. 64). Dans les deux cas, les recherches récentes en géographie des risques au sujet du littoral reposent sur l’occurrence des aléas et surtout sur le croisement de la fragilité des enjeux face à ces aléas caractérisant leur vulnérabilité (Leone, Meschinet de Richemond et Vinet 2010). Plus précisément, elles montrent en quoi les risques sont liés aux établissements humains dans des territoires particulièrement exposés aux aléas (Tabarly 2005 ; Veyret et Laganier 2017).
Parallèlement, le vieillissement devient un enjeu majeur pour l’adaptation du littoral. La part des plus de 60 ans dans les départements littoraux de France métropolitaine passe de 14,8 % en 1990 à 22 % en 2021 (INSEE). Cette évolution s’observe aussi en Europe, notamment en Espagne et en Italie (Doignon 2016 ; De Lapasse 2017). Résultat d’une transition démographique amorcée dès le xixe siècle. Plusieurs facteurs expliquent ce vieillissement : les migrations de retraités vers le littoral (Doignon 2016), qui contribuent à l’élévation de l’âge moyen (Dumont 2017, p. 159 ; Athari, Papon et Robert-Bobée 2019). L’« héritage » du baby-boom de l’après-guerre, qui fait entrer en retraite les « papy-boomers » nés entre 1950 et 1960 (Doignon 2016 ; Dumont 2016). Le vieillissement « par le haut », lié à l’augmentation de l’espérance de vie, et le vieillissement « par le bas », qui correspond à la baisse de la natalité. L’indice conjoncturel de fécondité (ICF) est actuellement de 2,1 dans les pays développés (INSEE, 2023). En France métropolitaine, il atteint 1,64, et seulement 1,48 dans l’Hérault (Calot et Sardon 1999).
Le vieillissement constitue un enjeu dans la littérature scientifique (Doignon 2016 ; Dumont 2016 ; Paumelle 2023), mais également dans la littérature grise issue d’acteurs institutionnels locaux et nationaux (Libault 2019 ; Broussy 2021). Parmi ces enjeux : l’augmentation du nombre de personnes dépendantes, c’est-à-dire, incapables d’accomplir seules les gestes du quotidien (Duée et Rebillard 2006). Larbi et Roy expliquent en 2019 :
« Si les tendances démographiques […] et l’amélioration de l’état de santé se poursuivaient, la France […] compterait 4 millions de séniors en perte d’autonomie en 2050, soit 16,4 % des personnes âgées de 60 ans ou plus (contre [1,9 million, soit] 15,3 % en 2015). Les personnes [très dépendantes] représenteraient alors 4,3 % de la population des [60 ans ou plus] (contre 3,7 % en 2015). » (Larbi et Roy 2019, p. 1)
Cette hausse implique d’adapter les logements, les services, et de tenir compte de leur vulnérabilité accrue face aux risques naturels (Lowe, Ebi et Forsberg 2013 ; Demers-Bouffard et Campagna 2021). Lors de la tempête Xynthia en 2010, 75 % des victimes avaient plus de 60 ans (Vinet, Boissier et Defossez 2011).
La notion d’agentivité (ou agency) désigne la capacité d’un individu à agir sur son environnement, à faire des choix, à s’adapter ou à résister à des contraintes sociales ou territoriales (Emirbayer et Mische 1998). Souvent envisagée en lien avec les conditions structurelles (dans ce cas, les personnes âgées), elle insiste sur la part d’autonomie et de subjectivité dans les trajectoires individuelles et collectives et leurs conséquences pour leur environnement (Jézégou 2022), ici les territoires littoraux.
L’articulation de ces différentes notions soulève une question centrale : comment les territoires littoraux peuvent-ils prendre en compte à la fois l’adaptation aux risques climatiques et l’adaptation au vieillissement démographique, dans un contexte où ces deux enjeux se renforcent ? Cette interrogation révèle trois enjeux principaux. D’abord, la vulnérabilité des personnes âgées qui sont à la fois plus exposées aux aléas naturels et s’adaptent moins aux évolutions de leur environnement (Bukvic et al. 2018). Ensuite, l’enjeu de l’adaptation des territoires : les infrastructures touristiques héritées des décennies passées ne sont pas conçues pour répondre aux besoins d’une population vieillissante, en particulier pendant un aléa. Enfin, l’enjeu de l’agentivité collective : dans quelle mesure les acteurs territoriaux peuvent-ils et veulent-ils transformer les contraintes du vieillissement en ressources d’adaptation face aux défis climatiques ? Cette recherche interroge ainsi les conditions dans lesquelles les territoires littoraux du golfe du Lion vont devoir construire des stratégies d’adaptation intégrées, croisant enjeux du vieillissement et de l’exposition aux risques naturels. Elle examine comment l’agentivité des acteurs (résidents âgés, collectivités, professionnels du médico-social et acteurs économiques) peut contribuer à redéfinir les modalités d’habiter et d’aménager ces espaces côtiers vulnérables ou, à l’inverse, les ralentir.
Le littoral d’Occitanie, du développement touristique à l’attractivité résidentielle
Le golfe du Lion sous influence : la Mission Racine
Du début du xixe siècle au milieu du xxe, l’État laisse aux aménageurs privés le soin d’organiser les littoraux. À partir des années 1960, il adopte une démarche planificatrice avec le lancement de la « Mission Racine » (Barbaza 1970 ; Racine 1980) ; un vaste programme d’aménagement prévoyant la création de six stations balnéaires (Figure 3). Conçues autour de marinas et structurées selon les usages (piétons, véhicules, plages, etc.), ces stations accueillent principalement des studios-cabines destinés au tourisme estival (Delorme 2022). L’organisation spatiale s’articule autour de marinas, selon un modèle directement inspiré des stations de Floride. Rien n’est conçu pour accueillir une population permanente, et encore moins âgée, à une époque où les enfants du baby-boom sont de jeunes actifs.
L’objectif est de concurrencer la Costa Brava espagnole et la Côte d’Azur, en proposant toutes les aménités susceptibles d’attirer un tourisme de masse (Pack 2008). Il est atteint : en 2020, certaines communes comme Agde voient leur population multipliée par dix l’été (Brun et al. 2017). Le succès de la Mission Racine s’inscrit dans un mouvement plus large d’attrait des citadins pour les zones côtières (Zaninetti 2006). Fortes de ce modèle, les communes limitrophes aux stations de la Mission Racine initient leurs propres projets balnéaires. Dotées de compétences en urbanisme et en aménagement autrefois réservées à l’État6, ces collectivités se mobilisent pour combler leur retard, avec l’appui de sociétés locales d’aménagement et de promoteurs immobiliers.
Figure 3. Le plan directeur des stations de la Mission Racine, ainsi que les autres ports de plaisance et villes côtières construits par la suite
Sources : IGN et Corine Land Cover, 2020
Entre 1968 et 1999, le golfe du Lion devient la côte la plus urbanisée de France, avec 236 nouveaux bâtiments par kilomètre carré (Ibid.). Vingt ans plus tard, le littoral compte plus de vingt stations touristiques et ports de plaisance. En 2020, plus de 80 % des surfaces bâties datent d’après 1960 (Brun et al. 2017). Les logements secondaires (Figure 4) représentent plus de la moitié du parc dans certaines communes (contre 9,7 % à l’échelle nationale), jusqu’à 74 % à La Grande-Motte.
Figure 4. Part des résidences secondaires dans le parc de logements
Sources : IGN et Corine Land Cover, 2020
Un territoire aujourd’hui très attractif pour les résidents permanents
Depuis les années 1970, les littoraux méditerranéens ne se limitent plus au tourisme saisonnier. Les migrations résidentielles y jouent un rôle croissant, dans un processus que Dumont appelle « litturbanisation », c’est-à-dire « le développement du peuplement des espaces littoraux et sublittoraux » (Dumont 1996, p. 161). Cette dynamique, perçue positivement par les élus, contribue à diversifier une économie longtemps centrée sur l’été. Certaines stations tendent à devenir des villes à l’année, comme La Grande-Motte (Rieucau 2000) ou Pornic (Brulay 2007).
La côte du golfe du Lion illustre cette tendance. Le taux de variation annuel de Montpellier Méditerranée Métropole7 atteint 1,76 % entre 2014 et 2020 (contre 0,31 % au national), dont 67 % proviennent de nouveaux arrivants (INSEE, 2020). L’héliotropisme et la présence de pôles urbains dynamiques (Montpellier, Narbonne, Perpignan) renforcent cette attractivité. Le climat méditerranéen – 2 828 heures d’ensoleillement par an selon Météo France – et la densité des équipements contribuent à ce phénomène (Zaninetti 2006). Les retraités et préretraités y sont de plus en plus présents : en 2021, près de 7 000 personnes âgées de 55 ans et plus s’y sont installées (Figure 5). Si les grandes villes (Toulouse, Montpellier, Nîmes) restent concernées, les flux migratoires incluent aussi des communes secondaires et rétro-littorales comme Gruissan, Agde, Sète ou Leucate. Dans certaines intercommunalités, les 65 ans et plus représentent plus de 40 % des nouveaux arrivants.
Figure 5. Mobilité résidentielle des 65 ans et plus dans les communes d’Occitanie
Sources : INSEE, 2020
L’analyse multivariée8 des caractéristiques socio-économiques des communes littorales et rétro-littorales (Figure 6) fait ressortir trois types de territoires (Husson, Lê et Pagès 2016). Les communes littorales et rétro-littorales partagent une population vieillissante et une forte attractivité pour les séniors. Les premières se distinguent par une proportion très élevée de retraités et de migrants âgés, traduisant une fonction résidentielle affirmée. Les secondes, moins denses, conservent une dynamique positive, avec un vieillissement plus progressif. Elles présentent des logiques démographiques et périurbaines. À l’inverse, les pôles urbains, plus denses, concentrent une population plus jeune et active, avec une faible part de retraités et une attractivité moindre pour les plus de 65 ans. Ces territoires accueillent les jeunes actifs, en lien avec leurs fonctions économiques, universitaires et métropolitaines.
Figure 6. Classification des communes littorales et rétro-littoral du golfe du Lion
Sources : INSEE, 2021
Les migrations des retraités accélèrent le vieillissement de la population
En conséquence, les communes littorales du golfe du Lion présentent un indice de vieillissement plus élevé que celles de l’arc rétro-littoral, c’est-à-dire situées en deuxième ou troisième ligne. L’indice de vieillissement, qui correspond au ratio entre les plus jeunes (moins de 20 ans) et les plus âgés (plus de 65 ans) parmi la population totale (Figure 7), révèle que la majorité des communes littorales comptent significativement plus de personnes âgées de 60 ans et plus que de jeunes de moins de 20 ans.
Figure 7. Taux de variation des plus de 65 ans entre 1968 et 2019
Sources : INSEE, 2020
Deux phénomènes sont à distinguer : le vieillissement, soit l’augmentation de la part des personnes âgées dans la population, et la gérontocroissance (Figure 8), qui désigne l’augmentation absolue de leur nombre sur un territoire (Dumont 2003). Depuis les années 1970, les territoires ruraux enregistrent un vieillissement marqué (Béteille 1981), tandis que les zones urbaines et périurbaines, plus jeunes proportionnellement, connaissent une gérontocroissance plus soutenue (Blanchet 2017). Les littoraux se situent à l’intersection de ces dynamiques : ils sont à la fois vieillissants et soumis à une forte gérontocroissance. Ils concentrent déjà une population âgée, en raison du départ des jeunes vers les zones denses, et continuent de vieillir sous l’effet des migrations résidentielles des 65 ans et plus. Ces migrations s’opèrent souvent en deux temps : une première étape, autour de 65 ans, correspond à une migration choisie vers des territoires littoraux ou de faibles densités (Caradec 2010), et une seconde phase, plus tardive (souvent après 80 ans), est subie. Elle est motivée par des besoins pratiques liés à la perte d’autonomie, et oriente les flux vers des territoires plus denses et mieux pourvus en services médico-sociaux (Dubois-Joye 2023).
Figure 8. Indice de vieillissement dans les territoires littoraux en 2020
Sources : INSEE, 2020
À première vue, l’augmentation rapide du nombre de retraités pourrait constituer une opportunité de diversification économique. Le développement d’une offre de services à destination des personnes âgées représente un potentiel marché (Lord et Piché 2018 ; Broussy 2021). La silver économie, définie comme l’ensemble des biens et services marchands destinés aux personnes âgées (Rengot 2015), s’inscrit dans cette perspective. En 2018, l’INSEE estimait que le niveau de vie moyen des 65 ans était plus élevé que la moyenne9 et le taux de pauvreté inférieur à la moyenne nationale : 8,6 % contre 14,8 %. C’est en ce sens que, depuis 2013, les services liés aux personnes âgées sont définis comme un « secteur d’avenir pour l’économie française », dans le contrat de filière de la silver économie10.
Toutefois, deux limites apparaissent. D’abord, les retraités les plus aisés privilégient d’autres littoraux, comme la Côte d’Azur ou le Pays-Basque, au détriment de l’Occitanie (Paumelle 2024). Ensuite, certaines communes peinent à attirer ou à maintenir des professionnels de santé comme de nombreuses zones rurales de faible densité (Evrard 2023). De fait, la filière médico-sociale tarde à se structurer localement. Par ailleurs, la prolifération des résidences séniors dans les communes littorales, majoritairement portées par le secteur privé (Chaudet et Madoré 2017), laisse de côté le problème de la prise en charge des plus dépendants. Le chantier de l’adaptation de stations balnéaires, autrefois imaginées pour le tourisme de masse, au vieillissement de la population n’est du reste pas à l’ordre du jour.
La difficile adaptation des territoires à cette attractivité
Des injonctions contradictoires entre la protection et le développement économique
La côte du golfe du Lion connaît donc une croissance urbaine et démographique rapide, insufflée par la mission Racine puis par la décentralisation amorcée en 1982-1983 – qui fait des collectivités locales les principaux artisans des politiques d’aménagement. Ces entités locales font aujourd’hui face à de multiples défis : l’augmentation de la fréquence des aléas liés au changement climatique (Lee et al. 2023) (Figure 8) ; la nécessité de diversifier une économie fortement dépendante du tourisme ; ainsi que l’adaptation à l’augmentation du nombre de résidents âgés.
Le programme de recherche sur le littoral du golfe du Lion suggère que la vulnérabilité de ce vaste territoire relève moins de l’évolution des aléas que de la concentration d’enjeux dans des sites de faible altitude très exposés. L’artificialisation des côtes basses et sableuses concentre les enjeux dans des zones particulièrement touchées par les risques d’érosion du littoral et de submersion marine. Les données géoréférencées analysées indiquent qu’environ 1,3 million de mètres carrés de zones construites sont actuellement exposés au risque de submersion marine dans les communes littorales (Brun et Hayet 2016). C’est justement à cause des risques naturels croissants que soixante ans après la mise en œuvre de la Mission Racine, l’État défend désormais la doctrine du « recul » des activités et des hommes face à la mer tandis que le législateur durcit les règles d’urbanisation. L’artificialisation de la côte basse et sableuse a pour effet de concentrer les enjeux sur des territoires particulièrement concernés par l’érosion du trait de côte et les aléas de submersion marine (Barone et Michel 2022). En effet, la mise en retrait des activités littorales entre en contradiction avec les modèles économiques locaux, largement fondés sur le tourisme, l’économie résidentielle et aujourd’hui la silver économie, rendant l’application de ces nouvelles orientations particulièrement conflictuelle.
Sans les activités concentrées sur le littoral, les acteurs locaux (les responsables politiques ou économiques) se verraient donc privés d’une de leurs principales ressources économiques : le tourisme (Chambre de commerce et d’industrie de l’Hérault et INSEE, 2018). En effet, les activités d’hébergement et de restauration représentent plus de 10 % des emplois dans certaines communes comme Vias (18,09 %) ou La Grande-Motte (14,96 %). Les données sur l’emploi suggèrent que 61 % des intentions de recrutement sont saisonnières dans le bassin d’emplois d’Agde-Pézenas. En plus d’être un moteur pour l’économie locale, l’activité touristique du golfe du Lion est un enjeu régional : les récentes données produites par l’INSEE suggèrent que le littoral d’Occitanie concentre la moitié de l’activité touristique de toute la région pendant la saison estivale, soit presque 24 millions de nuitées (Héran et Hild 2023).
Au-delà de l’activité touristique, les territoires littoraux (plus proches des pôles urbains) favorisent l’économie résidentielle pour accompagner le développement de leur commune. Ils le font grâce au développement de projets immobiliers tournés vers le logement individuel (en pavillon), de zones commerciales destinées aux ménages ou d’équipements publics destinés aux ménages plus jeunes avec enfants. L’économie résidentielle correspond à l’économie de proximité fondée sur la population réellement présente sur un territoire qui à la fois produit et consomme localement (Davezies 2009). Spatialement, ce développement urbain s’est traduit par la création de zones pavillonnaires sur des terrains plats proches des étangs. C’est par exemple le cas de Pérols ou Mauguio dont les espaces dédiés à l’habitat individuel en pavillon se sont considérablement agrandis pour favoriser l’arrivée de nouveaux habitants (Figure 9). Le taux de croissance annuel des territoires littoraux ne diminue pas (l’INSEE estime qu’il devrait augmenter de 14 % d’ici 2050), ce qui accentue les phénomènes de densification urbaine et, dans certains secteurs, de suburbanisation. Dans ce contexte, les espaces disponibles pour accueillir de nouveaux résidents permanents deviennent de plus en plus rares. Les acteurs politiques et ceux de l’aménagement y voient donc une aubaine pour valoriser et aménager le plus possible le peu d’espace encore disponible.
Figure 9. Espaces concernés par l’élévation du niveau de la mer d’ici 2100
Sources : CLC, IGN, 2018 et GIEC 2023
Vieillir sur le littoral : des enjeux d’hébergement et d’adaptation des lieux de vie
Une croissance démographique portée par les retraités autonomes, mais quels lieux de vie pour demain ?
L’arrivée de retraités relativement aisés et autonomes peut constituer un atout pour les territoires, pour les raisons évoquées précédemment. Toutefois, l’enjeu principal réside dans la progression du nombre de personnes âgées en perte d’autonomie. Car si ces retraités sont aujourd’hui autonomes, ils sont statistiquement appelés à devenir, à terme, plus dépendants. Avec ces changements démographiques s’accompagne toute une série d’enjeux liés à la perte d’autonomie, à savoir : le logement, la mobilité, l’accès aux services et la baisse des revenus (Libault 2019).
Le questionnaire distribué auprès des acteurs locaux dans le cadre du programme de recherche sur le vieillissement de la population révèle que les innovations pour l’adaptation des territoires au vieillissement sont finalement peu nombreuses. Sur les 78 personnes interrogées dans le questionnaire aux professionnels de la prise en charge des personnes âgées, seules trois pouvaient citer des modes d’hébergement « alternatifs » présents dans leur commune, c’est-à-dire qui ne soit pas de l’hébergement hospitalier, un EHPAD ou une résidence autonomie. Ce résultat peut s’expliquer par deux facteurs principaux : d’abord, les modes d’hébergement alternatifs (plus souvent désignés sous les appellations de colocation sénior, habitat inclusif ou habitat partagé) sont peu visibles et moins identifiés par les acteurs locaux, principalement parce qu’ils sont peu nombreux. Leur mise en place nécessite un portage moins traditionnel, impliquant souvent une coordination entre les collectivités, un bailleur, un gestionnaire et les habitants eux-mêmes. Ensuite parce que la logique économique (pour les porteurs du projet) est moins rentable que celle des établissements traditionnels de 50 à 100 résidents (ou plus). À ce sujet, un responsable de structure gestionnaire de colocation sénior explique :
C’est plus facile d’aller sur un segment qui existe déjà. Comme l’EHPAD, qui est réglementé et qui d’un point de vue immobilier est plus facile et intéressant.
Les acteurs interrogés dans les entretiens semi-directifs font aussi l’aveu de manque d’alternative crédible sur leurs territoires :
Donc on a des territoires où, en proportion, il y a beaucoup de personnes âgées, très peu de solutions et donc des personnes âgées qui sont forcées de partir à des dizaines ou des centaines de kilomètres de leur domicile – où elles ont leur ancrage et leurs habitudes – pour trouver une solution où elles seront malheureuses (spécialiste de l’hébergement alternatif).
Les gens arrivent de plus en plus fragiles et de plus en plus en mauvais état. Mais c’est le résultat du « succès » [je mets des guillemets] de la politique de maintien à domicile et du manque d’alternatives concrètes. On aura de plus en plus de gens avec des pluripathologies et il va falloir derrière qu’on ait du sanitaire et du soin (directeur d’EHPAD).
La doctrine de l’État sur le maintien à domicile, c’est très bien. […] Maintenant, sur les moyens mis en œuvre, c’est zéro. Il n’y a rien, absolument rien (maire d’une commune rurale).
Bien que divers dispositifs aient été instaurés, ils ne sont pas nouveaux pour les spécialistes (loin de là, certains ont près de 70 ans) et s’avèrent insuffisants pour faire face au nombre croissant de personnes âgées dépendantes. On peut citer par exemple les maisons d’accueil rural pour personnes âgées (MARPA) créées dans les années 1980, qui sont des petites structures « à taille humaine » pour l’hébergement de personnes âgées en perte d’autonomie dans les territoires de faible densité.
Le domicile comme lieu de vie privilégié : entre injonction politique et réalités matérielles
Parmi les réponses possibles, les pouvoirs publics et des acteurs de la prise en charge du vieillissement envisagent schématiquement deux types de solutions : le maintien à domicile ou l’EHPAD. Le maintien à domicile est la forme d’hébergement privilégiée des personnes âgées même lorsqu’elles sont en perte d’autonomie (Ibid. ; Broussy 2021). Ils sont 90 % à rester chez eux après 75 ans selon la DREES en 2023. De fait, les politiques publiques (notamment de l’État à travers les ARS et le ministère de la Santé) favorisent largement cette forme d’hébergement. Cette option est d’autant plus valorisée qu’elle s’inscrit dans un contexte de pénurie de places en EHPAD et autres établissements spécialisés. Elle prolonge par ailleurs une tendance ancienne : le maintien à domicile est promu par les pouvoirs publics depuis la fin du xviiie siècle (Cribier 2008 ; Alvarez 2016). Ce que confirme la responsable de l’unité politique du vieillissement de l’ARS Occitanie interrogée à ce sujet :
Puisqu’aujourd’hui la personne n’a pas 50 000 alternatives. Soit elle reste à domicile soit elle va en institution. Et d’ici 2030 voire 2040 plus de 82 % des personnes âgées dépendantes en Occitanie devront rester à domicile. On n’aura pas de places en EHPAD pour les accueillir.
Même si des aides de l’État (principalement grâce à l’ANRU11 et aux caisses de Sécurité sociale) permettent l’adaptation des logements spécifiques aux besoins d’une personne vieillissante, elles demeurent difficiles et coûteuses pour plusieurs raisons (Broussy 2021). Premièrement, les logements destinés à l’utilisation estivale sont de petite taille et non isolés, ce qui rend leur occupation en hiver plus difficile. Deuxièmement, la majorité de ces logements sont privés et situés dans des copropriétés, elles aussi privées, dans lesquelles les pouvoirs publics peinent à intervenir sans l’aval des propriétaires pour y mener de plus larges opérations de rénovation de l’habitat. Sur ces tènements privés, il est difficile pour les acteurs publics de mener une politique de renouvellement urbain d’envergure sans y consacrer des moyens financiers importants. Ils doivent d’abord acquérir le foncier, dont le prix oscille entre 3 500 € et 4 000 € du mètre carré sur les communes du littoral (Meilleurs Agents, 2025), avant d’engager des opérations de renouvellement urbain, plus coûteuses que des constructions neuves. L’objectif serait alors de revendre ou de louer ces logements à des résidents permanents, afin de rentabiliser l’opération. Toutefois, les revenus générés par l’activité touristique sont encore largement plus rentables pour les propriétaires privés locaux12. Ces derniers n’ont donc, à ce jour, que peu d’incitations à faire évoluer leur modèle vers des formes d’hébergement conformes aux normes adaptées aux personnes âgées, plus contraignantes et plus onéreuses, pour un public aux revenus souvent inférieurs à ceux observés sur la Côte d’Azur ou le bassin d’Arcachon. Ce qui a été confirmé dans les entretiens semi-directifs :
Et ça [réinvestir un immeuble d’habitation], on ne pouvait pas le faire avant parce qu’il était encore occupé par une habitante sous tutelle. Maintenant qu’elle n’est plus là, ça rend les choses possibles. (maire)
Il est déjà difficile pour des copropriétaires de s’entendre alors imaginez la communauté de communes intervenir sur des lots de 200 copropriétaires, c’est impossible ! (DGS d’EPCI13)
Enfin, les personnes âgées elles-mêmes ne sont pas informées de ces possibilités d’améliorations et d’accompagnement financier. Si les aides sont disponibles, les interlocuteurs et démarches à assurer pour les obtenir sont souvent hors de portée d’une personne âgée en perte d’autonomie. Les professionnels de l’aide et du soin à domicile en sont témoins :
L’ADIL14 a fait un fascicule d’accompagnement sur ce sujet et l’ANAH15 aussi. Mais je ne suis pas certaine que tout le monde sache où chercher les aides de rénovation (responsable à l’ADMR16).
Ce manque de connaissance des dispositifs, tant du côté des personnes âgées que des acteurs publics, s’explique en partie par l’absence d’un acteur central clairement identifié pour coordonner l’accompagnement sanitaire, social, la rénovation du logement ou encore le soutien aux aidants dans la gestion de la perte d’autonomie. L’absence d’une véritable « porte d’entrée » ou d’un référent unique capable de piloter l’ensemble des démarches à entreprendre est fréquemment soulignée par les professionnels impliqués dans la prise en charge des personnes âgées :
Je ne suis pas sûre qu’aujourd’hui ce soit très simple pour tout le monde, l’usager est un peu perdu entre tous les dispositifs. L’APA il faut qu’il la demande du département… sans trop savoir à qui il doit s’adresser pour sa prise en charge. Comment sa dépendance est évaluée, par qui ? Il ne sait pas s’il faut qu’il s’adresse à la MAIA ou à l’établissement ou au CCAS. Sans parler du suivi médical… (directrice de structure pour personnes âgées).
Le conseil départemental et les EPCI sont en partie garants de cet accompagnement et permettent de constituer une « porte d’entrée » pour les personnes âgées ayant besoin d’accompagnement. Mais les démarches à suivre paraissent souvent très complexes pour une personne en perte d’autonomie, comme le confirme une aidante de personne âgée :
Ma mère a 84 ans, il a fallu faire ses dossiers pour les aides, qu’elle prenne une aide à domicile, qu’elle déménage et qu’elle fasse des examens médicaux… si on n’avait pas été là, je ne sais pas ce qu’elle aurait pu faire. C’est déjà compliqué pour nous alors imaginez avec une personne de 80 ans qui perd la tête.
Bien que l’attractivité de ces espaces côtiers pour les jeunes retraités puisse paraître une aubaine économique, la réalité montre que le vieillissement qui en découle est en réalité subi par les acteurs territoriaux. Les communes littorales, déjà mobilisées sur de nombreux fronts (protection contre les risques naturels, développement économique, gestion touristique), peinent à intégrer la dimension du vieillissement dans leurs politiques territoriales. Un DGS explique :
Dans les territoires ruraux, ils ont le problème de perdre des habitants, nous on en gagne presque 2 % par an, on aimerait bien leur dire de nous lâcher un peu. On n’a pas le temps de s’adapter.
Le développement des services spécialisés, l’adaptation des espaces publics et l’amélioration de l’accessibilité au logement constituent autant de défis supplémentaires pour des équipes municipales souvent sous-dimensionnées et en manque d’ingénierie locale suffisante (Miguet 2022).
Les EHPAD : une solution essentielle, mais limitée face à l’augmentation des besoins
Face aux limites du maintien à domicile, l’hébergement en EHPAD constitue une alternative essentielle en particulier pour les personnes âgées très dépendantes et ayant besoin d’une assistance médicale. À l’échelle de la France métropolitaine, ce type d’hébergement reste minoritaire : il représente moins de 9 % de l’hébergement des 75 ans et plus (DREES, 2019), même s’il est le plus représenté parmi les structures spécialisées dans l’hébergement des personnes âgées. Sur le littoral du golfe du Lion, on en compte 137 pour 9 000 places. Cependant, ces structures font, elles aussi face à de nombreux problèmes. D’abord, les places disponibles ne sont pas assez nombreuses pour accueillir toutes les personnes âgées qui pourraient en avoir besoin. Selon l’INSEE et la DREES, on dénombre 36 EHPAD et 2 825 places dans les communes littorales du golfe du Lion (Figure 10), soit un taux d’équipement de 62,25 places pour 1 000 personnes de 75 ans et plus (contre 105,51 pour l’Occitanie).
Figure 10. Répartition des EHPAD et autres hébergements pour personnes âgées sur la côte du Golfe du Lion en 2022
Sources : IGN 2024 et DREES 2022
De plus, le taux d’équipement en EHPAD ne devrait pas augmenter : les injonctions du ministère de la Santé ne permettent plus d’en ouvrir de nouvelles, comme l’explique la responsable du pôle vieillissement de l’ARS Occitanie en 2023 :
Et d’ici 2030 voire 2040 plus de 82 % des personnes âgées dépendantes en Occitanie devront rester à domicile. On n’aura pas de places en EHPAD pour les accueillir. Puisque la politique du gouvernement est de ne pas construire de nouveaux EHPAD.
Les difficultés de recrutement aggravent encore la situation. Sur 25 professionnels interrogés, 19 mentionnent le manque de personnel qualifié, notamment de médecins et d’infirmières. Le secteur de la santé humaine et de l’action sociale est le premier à souffrir du nombre d’emplois vacants (Guillermin et Dano, 2023) et le second en termes d’offres d’emploi (France Travail, 2022). Les données issues de France Travail sur les offres de travail du premier semestre 2025 montrent que les offres diffusées dans les secteurs de la santé sont plus nombreuses dans des territoires urbains (comme le Rhône, la Haute-Garonne ou Paris) mais aussi les territoires littoraux. Les causes sont multiples : faibles rémunérations, horaires morcelés, temps de trajet importants pour les soins à domicile (Blanchet 2017 ; Libault 2019 ; Broussy 2021).
Enfin, les bâtiments d’accueil des EHPAD sont eux aussi vieillissants et les aides publiques semblent limitées pour accompagner au mieux leur rénovation. D’après la responsable du pôle vieillissement de l’ARS Occitanie, le Ségur de l’investissement, mis en place en 2021 par le ministère de la Santé pour la rénovation des EHPAD insalubres, a attribué une enveloppe de 100 millions d’euros pour l’ensemble de la région Occitanie, une enveloppe jugée insuffisante par les acteurs de terrain :
Ce n’est rien du tout ! Ici, en 2012, le montant des travaux a été sous-estimé de plusieurs millions. […] Pour le nouvel établissement où j’ai pris mes fonctions [en 2023], sur 24 millions d’euros de travaux, il y avait déjà 10 % de dépassement lié à l’inflation et derrière, il faut encore ajouter 2 millions parce qu’il faut équiper l’établissement (directeur d’EHPAD).
Les résidences séniors : une offre en augmentation, mais inadaptée aux personnes en perte d’autonomie
Entre le domicile et l’EHPAD, les résidences services séniors (RSS) et les résidences autonomies17 (RA) constituent une offre intermédiaire apparue depuis les années 2000 (Nowik 2014). Ces résidences offrent des logements et une série de services dédiés aux besoins des séniors autonomes, mais pas aux personnes âgées en perte d’autonomie. Lorsque le niveau de dépendance d’un résident devient trop élevé, celui-ci est contraint de quitter la structure, même en présence de soins à domicile, les normes ARS et des conseils départementaux interdisant un trop grand nombre de résidents dépendants18.
Ça a été le cas pour une ou deux personnes dernièrement, où le médecin a affirmé que la personne ne pouvait pas revenir chez nous. […]. L’alternative, finalement, c’est un peu l’hospitalisation, parce qu’aujourd’hui on n’est pas apte à juger. […] la difficulté aujourd’hui, c’est quand ils sortent de chez nous, ou est-ce qu’ils vont aller ? Les places ne sont pas forcément disponibles [en EHPAD] (directrice de résidence autonomie).
On a vraiment eu de grosses difficultés quand la directrice de la résidence est venue nous dire qu’elle ne pouvait pas rester parce qu’elle est plus autonome. Et comme elle est dépendante, on ne peut pas la mettre en résidence autonomie. Essayez de trouver un logement adapté pour une personne de 84 ans qui perd la mémoire après ça. (aidante de personne âgée dépendante)
Elles sont de plus en plus nombreuses, en particulier sur le littoral (Chaudet et Madoré 2017), et restent une très faible part de l’offre d’hébergement de personnes âgées (Libault 2019). Elles sont coûteuses : le loyer moyen atteint 1 700 euros pour 50 m². Leurs modalités de fonctionnement limitent leur pertinence.
Quand on regarde les solutions qui existent pour les séniors, on a les EHPAD qui répondent aux besoins des séniors qui sont de GIR 1 à 2 [avec très peu d’autonomie] et les résidences séniors qui sont pour les GIR 5 ou 6 [encore autonomes].[…] C’est pour moi une tranche de la population anecdotique, ou en tout cas, la quantité de résidences ouvertes pour ces personnes-là est, je trouve, assez démesurée par rapport à leurs besoins et d’ailleurs très peu de résidences séniors sont rentables aujourd’hui, c’est un modèle qui fonctionne mal. (directeur de structure de colocations séniors)
L’absence de solutions d’hébergement pour les personnes en perte d’autonomie ou dépendantes renforce leur vulnérabilité. Faute de places en EHPAD ou d’offres intermédiaires suffisantes, de nombreux séniors demeurent dans des logements inadaptés, souvent mal isolés, initialement conçus pour un usage saisonnier. Ce constat met en lumière les contradictions entre attractivité résidentielle du littoral, politiques publiques et gestion des vulnérabilités, appelant une véritable approche territoriale intégrée de l’adaptation au vieillissement. Au-delà de ce constat, la question des leviers mobilisés pour faire face à ces difficultés relève surtout du réseau d’aidants informels (les proches des personnes âgées) et de leur capacité à accompagner les personnes en perte d’autonomie : « on a vraiment besoin d’eux », explique une aide à domicile.
Conclusion
Les littoraux du golfe du Lion révèlent les tensions entre attractivité résidentielle, vieillissement de la population et capacités d’adaptation d’un territoire. Initialement aménagés pour le tourisme de masse, ces espaces doivent désormais faire face à des enjeux démographiques causés par l’installation croissante de retraités, souvent autonomes, mais dont les besoins évoluent avec le temps. L’analyse des dynamiques démographiques et territoriales montre que les littoraux continuent d’attirer une population âgée, mais les infrastructures, les politiques d’aménagement et les dispositifs de prise en charge restent globalement insuffisants pour répondre à la complexification des parcours résidentiels liés au vieillissement. Les données et témoignages recueillis révèlent un décalage entre les trajectoires de peuplement et l’offre de lieux de vie adaptés. Le maintien à domicile, s’il constitue l’orientation privilégiée des personnes âgées et des politiques publiques, connaît des limites : vétusté du bâti, faiblesse et méconnaissance des dispositifs d’adaptation, morcellement de la gouvernance locale. L’accueil en EHPAD, bien qu’essentiel pour les personnes les plus dépendantes, reste limité en capacité, mal réparti et en difficulté chronique de recrutement. Quant aux résidences séniors, leur développement rapide répond davantage à une logique de marché qu’à une réelle réponse aux besoins de la perte d’autonomie. L’ensemble de ces éléments souligne la nécessité de repenser l’offre d’hébergement pour les personnes âgées dans une logique territoriale et évolutive.
À l’heure où les effets du vieillissement démographique et du changement climatique convergent, les territoires littoraux apparaissent comme des laboratoires d’observation des vulnérabilités contemporaines. Ils offrent une nouvelle fois un terrain d’expérimentation pour de nouvelles politiques d’habitat, de mobilité et d’aménagement publics. Cela suppose d’articuler, plus finement encore, les enjeux de santé, d’autonomie et de cadre de vie dans les politiques territoriales à venir.











